Des tirs et des explosions ont encore secoué Khartoum, la capitale du Soudan, mardi soir, en dépit d’appels à la trêve, au quatrième jour de combats entre l’armée et les paramilitaires qui ont fait près de 200 morts.
A l’issue d’une médiation du Soudan du Sud, les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti », et l’armée dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane, aux commandes depuis le putsch de 2021, s’étaient engagées à une trêve de 24 heures pour évacuer les civils des régions les plus dangereuses.
Mais à l’heure dite, 16H00 GMT, explosions, colonnes de fumée, odeur de poudre et rafales de tirs étaient toujours là. « Il n’y a aucun signe d’apaisement à Khartoum et dans plusieurs autres zones », a constaté l’ONU en soirée.
L’armée et les FSR se sont empressés de s’accuser mutuellement d’avoir « violé la trêve ».
Les avions militaires survolent toujours Khartoum où ils ont frappé quatre hôpitaux, selon des médecins. Dans tout le pays, l’un des plus pauvres au monde où la santé est à genoux depuis des décennies, « 16 hôpitaux sont désormais hors service ».
Alors que les combats se concentrent à Khartoum et dans la région du Darfour (ouest), la Croix-Rouge et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ont appelé les belligérants à garantir l’accès aux personnes dans le besoin.
Le patron de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, a dénoncé « le pillage de certains établissements de santé et de l’utilisation d’autres à des fins militaires ».
Dans un pays où la faim touche plus d’un habitant sur trois, humanitaires et diplomates disent ne plus pouvoir travailler: trois employés du Programme alimentaire mondial (PAM) ont été tués au Darfour.
– Habitants cloîtrés –
Mais les appels du G7, de l’ONU et des Etats-Unis à mettre fin aux violences n’y font rien: des hommes en treillis, parfois enturbannés comme les nomades de la région du Darfour, continuent de faire régner la terreur à Khartoum, tandis que les raids aériens de l’armée touchent des zones densément peuplées.
Les habitants, eux, sont en majorité cloîtrés chez eux sans électricité ni eau courante et voient leur stocks de nourriture fondre depuis que le conflit politique entre les deux généraux a dégénéré samedi en bataille rangée.
Civils et diplomates les pressaient de s’accorder sur un calendrier et les conditions d’intégration des FSR à l’armée pour relancer la transition démocratique, mais faute d’accord, ils ont sorti les armes.
Au quatrième jour de violence, les rares épiceries ouvertes préviennent qu’elles ne tiendront plus longtemps sans réapprovisionnement. Des habitants commencent à partir pour la province qui borde le sud la capitale où il n’y a pas de combats.
Sous un ciel barré de colonnes d’épaisse fumée noire au-dessus des QG de l’armée et des paramilitaires, d’autres s’aventurent dehors à la recherche de nourriture ou d’un générateur.
A Khartoum, « cela fait quatre jours que l’on ne dort pas », raconte à l’AFP Dallia Mohamed Abdelmoniem, 37 ans.
Les violences ont fait depuis samedi plus de 185 morts à travers le pays, selon l’ONU, et poussé plusieurs ONG et agences onusiennes à suspendre toute aide.
Lundi, un convoi diplomatique américain a essuyé des tirs et l’ambassadeur de l’Union européenne a été « agressé dans sa résidence » à Khartoum. La diplomatie soudanaise, loyale au général Burhane, a accusé les FSR.
– Hôpitaux en détresse –
L’ONU recense 1.800 blessés, et sûrement beaucoup plus tant l’accès aux zones de combats est difficile, pour les patients comme pour les médecins.
Au Darfour, bastion du général Daglo et de milliers de ses hommes qui y ont mené des atrocités durant la guerre lancée dans cette région en 2003, Médecins sans Frontières (MSF) a dit avoir accueilli en trois jours 183 blessés, « dont beaucoup d’enfants » dans son dernier hôpital fonctionnel.
Impossible de savoir quelle force contrôle quoi. Les deux camps disent par communiqués interposés tenir l’aéroport, le palais présidentiel ou encore le QG de l’état-major.
L’armée dénonce « un coup d’Etat » de « rebelles soutenus par l’étranger » quand Hemedti déclare lutter « pour la liberté, la justice et la démocratie ».
Ce slogan de la « révolution » de 2019 était jusqu’à récemment encore scandé dans la rue par les militants prodémocratie voulant en finir avec le pouvoir militaire, quasiment une constante au Soudan depuis l’indépendance en 1956.
Pour le politologue Amr Chobaki, « la situation actuelle est le résultat des erreurs du régime Béchir et de la période de transition qui aurait dû, après la chute de Béchir (en 2019), discuter de l’unification des forces armées ».
« Les civils voulaient démanteler l’ancien régime mais ce qui a été démantelé ce sont les forces politiques et l’armée », explique-t-il à l’AFP.
Le grand voisin égyptien, lui, multiplie les contacts régionaux pour « un retour à la table des négociations ».