Le ton a changé à Brasilia. Avec ce discours, le gouvernement prend acte d’un mouvement national, même s’il est né à Sao Paulo il y a moins de deux semaines d’une protestation bien locale contre l’augmentation du prix des transports publics. Jusqu’alors, les autorités fédérales n’avaient pris aucune distance avec les gouvernements locaux et la répression brutale que ceux-ci ont organisée, notamment à Sao Paulo et Rio de Janeiro, avec l’utilisation sans modération de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc.
Les propos du ministre des Sports, Aldo Rebelo, selon lequel le gouvernement témoignerait d’une «tolérance zéro» à l’égard des manifestants qui perturberaient la Coupe des confédérations ont fait scandale, alors que la police réprimait dans la violence une manifestation pacifique de 1 000 personnes autour du fameux stade du Maracana, à Rio.
Dans la foulée, le communiqué perplexe de Dilma Rousseff observant que «c’est le propre de la jeunesse de manifester» a dérouté ses partisans. Car s’il est une personne dont on attendait plus de compréhension, c’est de cette présidente qui s’enrôlait dans la guérilla à 18 ans pour lutter contre la dictature, payant cet engagement de trois ans de prison et de torture.
Le fait de voir autant de personnes dans les rues dans tout le pays montre qu’il y a un «vrai mécontentement», résume le secrétaire général de la présidence, Gilberto Carvalho. «Il serait très prétentieux de dire que nous comprenons ce qui se passe, il faut que nous adoptions une attitude humble, pour comprendre la complexité de cette mobilisation.»
Comment expliquer cette colère, en effet, après une décennie de réduction de la pauvreté, de meilleure distribution des ressources et de quasi-plein-emploi? Des membres du Parti des travailleurs de Dilma Rousseff ont voulu y voir une conspiration de l’opposition pour renverser le gouvernement. Aucun mot d’ordre n’allait dans ce sens: personne n’a critiqué les politiques sociales du gouvernement, ni exigé le retour des privatisations. «L’immense majorité des manifestants a moins de 25 ans, et fait partie de la classe moyenne ou des quartiers périphériques. Ils ne sont pas contre les changements apportés par Lula et Dilma depuis 2003, mais ils veulent plus, mieux et vite», résume l’analyste Breno Altman, qui dirige le site d’information Opera Mundi. «Il y a un malaise croissant à l’égard d’un système politique dans lequel, au nom de la gouvernabilité, on préserve les vieilles institutions, les alliances avec l’oligarchie pour former une majorité parlementaire, en renonçant aux valeurs et à la mobilisation sociale», poursuit-il.
Si ces manifestations monstres impressionnent, c’est aussi parce que ce sont les premières, ces trente dernières années, à s’être déclenchées sans le Parti des travailleurs. La stratégie de Lula et Dilma, changer le Brésil sans bousculer les institutions, aurait-elle atteint ses limites? C’est ce que semblent crier les jeunes de la rue. «La question est désormais de savoir si le gouvernement et le parti sont prêts à reprendre langue avec ces mouvements et à lancer de nouvelles réformes – ou s’ils vont payer le prix du divorce entre la rue et la gauche», conclut Breno Altman.
Figaro 2013-06-20 01:11:39