Des habitants dans une rue d’Agadez, au nord du Niger, le 6 avril 2017 / © AFP / ISSOUF SANOGO
Porte du Sahara dans le nord du Niger, Agadez est un carrefour où se croisent des milliers de migrants pleins d’espoir de gagner la Libye et l’Europe et d’autres qui rebroussent chemin, rêves brisés.
En 2016, 335.000 migrants ont été observés se dirigeant vers le nord par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui en a recensé 111.000 regagnant Agadez dans l’autre sens. Des chiffres parcellaires: l’OIM ne comptabilise que les migrants passant par ses points de suivi, sans prétendre à l’exhaustivité.
Ils vont soit vers l’Algérie, soit, dans leur grande majorité, vers la Libye pour y travailler ou tenter de monter sur un bateau à destination de l’Europe.
En mai 2015, le Niger a adopté une loi très sévère interdisant le trafic des migrants pour tenter de tarir le flux, rendant encore plus difficile leur trajet.
Regard hagard, visage blanchi par une pellicule de sable, cheveux raidis par la poussière, Ibrahim Kande, Sénégalais de 26 ans, descend d’un pick-up après la barrière de l’entrée Est d’Agadez. Il a quitté la Libye il y a quatre jours pour rallier la ville nigérienne balayée par un vent chaud.
« Je suis fatigué, fatigué, fatigué. C’est difficile le Sahara: pour l’eau, pour la nourriture », confie ce jeune originaire de Tambacounda, dans le centre du Sénégal.
La traversée du désert l’a exténué mais Ibrahim porte aussi sur ses épaules l’échec de sa tentative d’immigration et les violences physiques et psychologiques subies depuis des mois.
« Voici toutes mes affaires », résume-t-il en montrant son survêtement, plein de poussière. « Mon sac de voyage le voilà », ajoute-t-il en désignant son slip.
– ‘Ils vont me tuer’ –
« Je voulais gagner de l’argent pour envoyer à ma famille mais maintenant c’est trop de difficultés », soupire Ibrahim, couturier de profession, ruiné, dont le voyage retour a été payé par « un grand frère ».
« Je suis content d’être revenu », souffle-t-il après deux mois passés en Libye à Mourzouk. Il a notamment été enlevé par des milices locales et n’a été libéré que contre rançon. « Ils appellent ton parent au pays. Il faut leur dire +Envoie moi de l’argent sinon ils vont me tuer+ », raconte-t-il.
Des dizaines de migrants, du Sénégal, de Gambie, Guinée Bissau ou Conakry, Côte d’Ivoire, Ghana ou Nigeria racontent les mêmes mésaventures, de travail forcé « comme l’esclavage ». Malgré cela, des milliers de migrants continuent d’affluer à Agadez pour tenter de passer en Europe ou croyant toujours qu’ils peuvent faire fortune en Libye.
Baldé Aboubakar Sidiki, 35 ans, originaire de Kindia en Guinée, a « vendu les terres familiales » pour 17 millions de francs guinéens (1.700 euros). Son périple s’est terminé dans une « prison » libyenne. Lui aussi dit avoir été torturé, une des techniques préférées des bourreaux consistant à frapper « la plante des pieds avec des bâtons ou des câbles ».
Il a pu revenir à Agadez mais n’envisage par « de retourner (en Guinée) avec toute cette honte d’avoir vendu les terres ». Il attend donc une nouvelle tentative.
La traversée du désert est éprouvante et dangereuse, à l’arrière d’un pick-up transportant entre 20 et 30 personnes. Les migrants, pieds vers l’extérieur, s’accrochent à des bâtons installés entre les bidons d’eau et de gazole, emmitouflés de la tête aux pieds avec cagoules, lunettes, gants et blousons pour se protéger du sable et de la chaleur.
Le trajet de 750 km vers la Libye dure entre deux et trois jours, avec des pauses de quelques minutes à peine pour faire le plein et ses besoins. Les accidents ne sont pas rares et il faut éviter les patrouilles de l’armée mais surtout les bandits, qui n’hésitent pas à abandonner migrants et passeurs en plein désert.
Accidents et pannes peuvent aussi avoir des conséquences funestes. Au moins 44 migrants, dont des bébés, ont été retrouvés morts en plein désert début juin. « Ce désert est plein de corps des migrants », a regretté le ministre de l’Intérieur Mohamed Bazoum.
– ‘Dieu décide’ –
« On a vu des corps enterrés. Il n’y pas de sécurité dans le désert », souligne Eric Manu, 36 ans, maçon ghanéen revenu après deux ans passés en Libye.
En attendant de partir, les migrants vivent dans les « ghettos » ou « foyers » appartenant aux passeurs, à l’abri des regards et de la répression des autorités, souvent dans les quartiers périphériques d’Agadez. Les conditions y sont précaires: souvent ni eau courante ni électricité… et pour tout équipement un toit en tôle ou une tente, des nattes sur le sol, une casserole et une théière.
« S’il faut attendre un an, j’attendrai un an », assure pourtant Abdoulaye Fanne, originaire d’un village de Casamance, dans le sud du Sénégal.
Ce ferrailleur a déjà perdu tout ce qu’il avait amassé pendant « plus de 10 ans » soit 400.000 francs CFA environ (600 euros) pour rallier Agadez. Sans argent, sans travail, il attend de l’argent de sa famille ou de trouver un des petits boulots pour payer son « transfert » vers la Libye et l’Europe.
Assis par terre dans un ghetto, le regard plein d’espoir, le jeune homme de 25 ans, clame: « J’aime la France. Je veux travailler. Je n’ai jamais trouvé de travail depuis que je suis jeune ».
Après la rapacité des douaniers et gendarmes, il dit avoir bien compris qu’il doit encore affronter la partie la plus difficile: le désert, la Libye en proie aux groupes armés, la Méditerranée et son cortège de naufrages.
« Je suis né dans une famille pauvre. Dieu décide. Si je meurs sur la route, ce n’est pas mauvais: j’aurais essayé d’aider ma famille. On n’a pas de solution. J’ai choisi entre vivre ou mourir ».