ARRET DU TRAFIC SUR LE PONT DE KAYES: Le gouvernement sommé de réhabiliter la route nationale reliant Bamako à la frontière sénégalaise

La ville de Kayes «paralysée» a été paralysée le vendredi 23 août 2019. Tous les axes stratégiques de la ville dont le pont ont été bloqués par des manifestants. Organisée par plusieurs associations, cette manifestation vise à protester contre, entre autres, la dégradation de la route Bamako-Kayes, l’arrêt du trafic ferroviaire. Des populations de la région de Koulikoro sont aussi sorties à Kati et Kolokani pour exprimer leur soutien. Le gouvernement affirme que la réhabilitation de cette route coûtera plus de 350 milliards de FCFA. Un montant dont il ne disposerait pas aujourd’hui. Des observateurs lui conseillent de solliciter un préfinancement de la République populaire de la Chine.

Depuis minuit ce vendredi 23 août 2019, le pont de Kayes (ouest du Mali) a été bloqué pendant une journée par une foule pour protester contre «l’état lamentable» de la route nationale Kati-Kolokani-Diéma-Kayes (environ 422 km) reliant Bamako à la frontière sénégalaise. Les manifestants exigent également la reprise du transport ferroviaire. Le trafic a été également interrompu par des barricades dressées dans de nombreuses localités comme Kati, Kolokani et Kéniéba (voie de contournement)…

Et selon des médias locaux, d’autres jeunes sont venus des localités de Kati, Kolokani, Didiéni, Diéma, Nara, Koulikoro et Diboli (frontière sénégalaise) pour rejoindre «ce vaste mouvement de contestation» visant à exiger la réfection de cette voie qui ne cesse de se dégrader et qui provoque un nombre incalculable de victimes. Sans compter les dégâts matériels très coûteux pour les transporteurs et les opérateurs économiques.

«Chaque semaine, il y a des accidents mortels sur cette route qui n’existe aujourd’hui que de nom. En plus des pertes en vies humaines, les conséquences économiques ne sont pas négligeables car cet axe est emprunté par des camions qui approvisionnent le Mali à partir du port de Dakar et même souvent de la République de Guinée et de la République islamique de Mauritanie… Le trajet est aujourd’hui jonché de gros porteurs, de cars et de voitures accidentés», a souligné un opérateur économique de Kayes joint au téléphone par Xinhua, mais qui a tenu à garder l’anonymat.

Deux jours auparavant, le ministère des Infrastructures et de l’Equipement avait publié un communiqué reconnaissant «l’état de dégradation avancée» dudit réseau routier du fait de «son vieillissement et de la forte charge qu’il subit depuis la crise ivoirienne de 2002 suite au basculement du trafic vers le corridor Sénégalais».

 

Les ratés dans la communication gouvernementale irritent les populations

Jusqu’en 2002, selon des statistiques officielles, 80 % des importations et exportations du Mali passaient par le port d’Abidjan. Cependant, avec la crise ivoirienne en 2002, ce taux est tombé à 33 % en 2008 contre 51 % par le Sénégal. Le trafic du corridor Bamako-Dakar passant par le nord (la RN3) avait crû de plus de 700 camions par jour. Ce niveau de trafic n’était pas prévu et a donc engendré une dégradation rapide des infrastructures routières.

Le ministère a indiqué qu’une «réhabilitation totale» est envisagée. «Cette réhabilitation nécessite un coup financier dont le pays ne dispose pas aujourd’hui. Les premières études font état d’un montant de plus de 350 milliards de F Cfa (589 890 000 dollars US) pour la reconstruction totale de cette route», a précisé le communiqué.

Et pourtant, le même département avait annoncé en septembre 2018 que le financement de la voie en question était acquis et que les travaux allaient commencer dans un bref délai. C’était suite à un mouvement de protestation des jeunes de Kati (sur les hauteurs de Bamako) qui ont bloqué le trafic sur cette route nationale pendant la journée du lundi 17 septembre 2018 pour manifester leur colère contre les autorités. Pour se faire entendre, ils ont dressé des barricades empêchant ainsi toute forme d’activité et la circulation des véhicules dans la ville.

Au lieu de faire baisser la tension, le communiqué du ministère des Infrastructures a plutôt irrité les ressortissants de la région de Kayes.  «Ce même gouvernement avait annoncé pour octobre 2018 le début des travaux de réhabilitation de cette route. Cela fait bientôt une année et les choses n’ont pas bougé. Il a fallu que les Kayésiens menacent de couper le pont pour pousser le gouvernement à réagir après plus de 10 mois d’indifférence malgré les pertes en vies humaines»,  a déploré Maki Tall, un sympathisant du mouvement de protestation sur les réseaux sociaux.

 

Les Bamakois menacés par une hausse des prix liée à une pénurie envisageable des produits importés à partir du Sénégal

«Cette route n’a jamais été une priorité au Mali. De l’indépendance à nos jours, les usagers de la route Kati-Kayes n’ont cessé de s’indigner», a déploré un cadre de la région sur les réseaux sociaux. «Kayes est une région qui mérite mieux que la démagogie politicienne de nos dirigeants», s’est-il indigné.

A Bamako, les populations manifestent leur solidarité tout en retenant leur souffle car conscients des conséquences socioéconomiques si le mouvement dépasse cette journée. Il faut en effet craindre une pénurie des produits de consommation pouvant entrainer une hausse insupportable de prix.

Les manifestants sont déterminés à renouveler cette action jusqu’à la satisfaction de leurs revendications : des engagements fermes sur le début des travaux de réhabilitation de la route Kati-Kolokani-Diéma-Kayes-Diboli. Quant au gouvernement, il a indiqué qu’il continue de consulter ses partenaires techniques et financiers pour mobiliser le financement nécessaire.

Et certains observateurs l’exhortent à se tourner vers la République populaire de Chine avec laquelle Bamako entretient une coopération bilatérale très fructueuse. «La Chine a déjà préfinancé de nombreuses infrastructures de transport (routes et aéroports régionaux) et de sports. Et je suis convaincu que, face à l’urgence de la réhabilitation de ce réseau routier stratégique pour l’économie malienne, Beijing ne va pas poser assez de conditions pour préfinancer les travaux», a suggéré un chroniqueur économique indépendant.

Une suggestion jugée pertinente par de nombreux observateurs. Pour ces derniers et ceux qui bloquent la RN3 à Kayes, Diéma, Kolokani et Kati, la balle est dans le camp du gouvernement du Premier ministre Boubou Cissé.

Moussa Bolly

LE MATIN