Le 25 janvier dernier, en effet, un avion cargo, avec un équipage de quatre personnes, toutes sud-américaines, atterrit tranquillement sur la piste de Méma, près de Kita, à 76 km de Tombouctou. A son bord, 250 fûts de cocaïne, indiquaient des sources locales. Les témoignages ont fait état de quatre rotations de six véhicules 4X4 qui avaient déchargé la « marchandise » sous une forte escorte, avant de disparaître dans la nature. Sans qu’aucun officiel malien ne le fouille, l’avion avait décollé dans la matinée du 12 janvier 2010.
Cette seconde affaire de cocaïne intervenait deux mois seulement après l’abandon d’un avion-cargo (un autre) dans la région de Kidal, en plein désert. Une affaire qui avait considérablement affecté le pouvoir malien qui, (on se le rappelle) avait gardé le silence durant un mois, avant de reconnaître l’existence de cet avion battant pavillon sud-américain. Une affaire qui avait également braqué la lumière sur les connexions qui existeraient entre des proches du pouvoir, des cartels de la drogue colombiens et des terroristes de Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI).
Le poids des notables barabiches
Les différents témoignages recueillis auprès de sources locales étaient formels : cette cargaison n’aurait jamais pu être déchargée s’il n’y avait pas eu de complicités au haut niveau de l’Etat malien. Toujours selon les dites sources, il y a d’abord eu la présence, sur les lieux, d’un notable de la région de Tarkine, qui avait réceptionné cet arrivage. Ce personnage serait connu dans la région comme un ancien élu de la tribu des Barabiches, et qui jouirait d’une telle estime au sein du pouvoir qu’on retrouve sa trace dans le dispositif qui avait été mis en place pour négocier avec AQMI pour la libération des six otages européens : trois Espagnols, deux Italiens et un Français.
Investi principal négociateur par la Présidence, ce notable serait connu pour être en affaires avec le groupe terroriste de Mokhtar Belmokhtar qui s’occupe notamment du blanchiment d’argent de AQMI dans la région de Gao par l’achat de plusieurs commerces et de deux compagnies de camions. La complicité AQMI-tribus est telle que les témoignages étaient formels sur le fait que ces véhicules assurant l’escorte de cette « poudre blanche » (cocaïne) étaient remplis d’individus lourdement armés appartenant à une phalange de AQMI.
Abou Zeïd, Belmokhtar et le contrôle de la coke
La prépondérance de cette cocaïne est telle qu’elle avait divisé les groupes AQMI dans le Sahel, chacun la traitant à sa manière. En effet, si « l’émir » Abou Zeïd se contente de faire payer les trafiquants à travers un « impôt de passage », le groupe de Mokhtar Belmokhtar, lui, se charge de la sécurité des convois qui tracent leurs routes vers l’Egypte et le Maroc.
Quant au notable en charge, il est souvent accompagné de plusieurs autres chefs de tribu arabes du Nord Mali, dont certaines personnalités et députés de Gao, Bourèm et Abeibara, à qui revient la responsabilité de la négociation sur le sort des otages européens, avec tous les risques que cela suppose.
En fait, la crainte de Madrid, Paris et Rome (l’Espagne, la France et l’Italie), c’est de se voir embarqués dans des négociations impossibles. Selon des sources contactées, au-delà du paiement de la rançon qui semble inévitable, il y a la libération des prisonniers de « l’émir » Abou Zeïd détenus en Mauritanie et sur lesquels les gouvernements européens n’ont aucune prise.
Inquiétude et impatience des Occidentaux
Ces sentiments semblent avoir motivé le déplacement « express », à Bamako, de Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères de l’époque. C’est qu’à l’Elysée, on commençait à montrer des signes de fébrilité à l’égard de ses négociations qui traînaient en longueur (aux yeux des autorités françaises), surtout dans une région sahélienne où la DGSE (Direction générale des services de sécurité) française semblait avoir des « entrées » plus propices qu’ailleurs.
Les Espagnols n’étaient pas en reste, surtout que l’affaire de leurs trois concitoyens détenus commençaient à avoir des répercussions internes, et que les familles et les amis des otages (des Catalans) trouvaient le temps long face aux contacts entrepris par le gouvernement de Zapatero. Ce dernier avait opté pour la stratégie de confiance à l’égard de l’Eta malien. Mais les négociations traînaient, car les terroristes du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) ne voulaient pas lâcher leurs prises (les otages) à un « prix modique » : après avoir demandé 8 millions d’euros, ils avaient finalement exigé 7 millions.
Des questions et supputations
Les arrivages monstrueux de cocaïne au Mali, depuis la Colombie, avaient-ils fait passer le sort des otages au second plan, au moment où les Etats-Unis étaient en train de juger trois ressortissants maliens pour leurs supposés liens avec les FARC (Forces armées révolutionnaires colombiennes) ? Les négociateurs, dont l’implication dans le trafic de drogue était avérée (selon certains), tentaient-ils, avec l’assentiment de AQMI, de faire monter les enchères sur les otages ? Le pouvoir malien était-il réellement intéressé par nettoyer la région des terroristes salafistes, alors que ces derniers avaient fait alliance avec les tribus barabiches ? En tout cas, cette situation avait créé de nombreuses lectures autour de l’attitude du pouvoir malien.
Pour rappel, le mouvement « Alliance du 23 Mai », qui avait su faire taire ses divergences lors de son congrès à Alger, avait lancé un signal à la communauté internationale sur le fait qu’il était le plus en mesure de traquer AQMI. Mais le mouvement n’était guère parvenu à sensibiliser outre mesure les puissances occidentales impliquées au Sahel. Par ailleurs, les tribus Azawad, qui avaient fait une offre concrète à Bamako pour défendre ce territoire face aux terroristes, n’avaient aucune chance d’être entendues par le pouvoir malien.
Affaire des otages français et italien
La branche maghrébine d’Al Qaïda avait fixé un nouvel ultimatum de quelques semaines pour la libération de deux otages français et italien, tout en menaçant implicitement d’attenter à leur vie si elle n’obtenait pas la remise en liberté de ses prisonniers retenus au Mali. Mais la nébuleuse islamiste n’avait pas fait état des quatre otages européens qu’elle détenait également dans le désert malien.
Le Français Pierre Camate avait été kidnappé par des inconnus en pleine nuit, dans un hôtel de Ménaka, dans le Nord Est désertique du Mali. Agé de 61 ans, il présidait une association entre la ville de Gérardmer (dans les Vosges, à l’Est de la France où il était domicilié) et Tidarmène, une localité située au Nord du Mali. La branche d’Al Qaïda avait menacé de le tuer si quatre de ses membres n’étaient pas libérés. Elle avait ensuite repoussé son ultimatum initialement fixé à la fin de janvier 2010.
Dans un communiqué repéré sur un site Internet jihadiste par le Centre américain de surveillance de sites islamistes, AQMI avait donné jusqu’au 20 février 2010 à la France et au Mali, pour « satisfaire ses demandes ». Et le communiqué d’Al Qaïda, de préciser : « Une fois que ce délai supplémentaire précieux sera écoulé, nous aurons fait tout ce que nous pouvons. Si nos demandes ne sont pas remplies, la France et le Mali devront assumer leur pleine responsabilité concernant la vie de celui qui a été enlevé ».
Par ailleurs, à propos de l’otage Sergio Cicala, l’organisation d’Oussama Ben Laden avait donné, au gouvernement italien, jusqu’au 1er mars 2010 pour répondre à ses exigences. AQMI avait précisé avoir « demandé la libération de ses prisonniers dont les noms ont été donnés au négociateur italien, en échange de la libération de Sergio Cicala ».
Par Oumar Diawara « Le Viator »
Le Coq 02/12/2010