Contrairement à la logique qui voudrait que tous ceux qui ont participé au partage du gâteau durant les 5 ans de son mandat se rallient à sa cause dès le 1er tout de l’élection présidentielle de 2018, le président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta, supposé candidat à sa propre succession, risque de disputer la bataille des urnes au mois juillet avec certains de ses anciens collaborateurs. Stratégie politique ou tentative de trahison du Chef de l’Etat en fin de mandat ? Les commentaires vont dans tous les sens à six mois du scrutin.
En juillet 2018, IBK n’aura pas que les candidats de l’Opposition comme adversaires. Contrairement à ATT en 2007, il aura aussi en face certains de ses anciens collaborateurs durant son premier quinquennat à Koulouba. Tout comme lui, certains d’entre eux aspirent aussi à devenir le futur Chef de l’Etat du Mali cette année. Parmi ses adversaires, certains sont membres de la Convention de la Majorité présidentielle, et ont été ministres ou Premier ministre durant ces 4 dernières années. S’ils ne s’attaquent pas au bilan du président IBK (à l’exception de l’un d’entre eux) dont ils sont aussi comptables, ils seront à la ligne de départ pour la course vers Koulouba. Qui sont-ils ? Quelles sont leurs chances de réussite ?
Me Mountaga Tall, président du CNID-FYT, ancien ministre
Le président du Congrès national d’Initiative démocratique (CNID-Faso Yiriwaton) a été ministre de l’Enseignement supérieur et l’Economie numérique et de la Communication dans le Gouvernement de Modibo Kéïta. Mais, ni son statut d’ancien collaborateur du président IBK, ni son appartenance à la Convention de la Majorité présidentielle n’empêcheront Me Mountaga Tall de croiser le fer, dès le 1er tour, avec le président de la République, Ibrahim Boubacar Kéïta (si sa candidature est confirmée) lors de la présidentielle de 2018. Et pour cause : lors de sa traditionnelle présentation de vœux à la presse, il a levé toute équivoque sur la question. « Le CNID ne sera pas absent au rendez- vous de 2018», a annoncé l’ancien ministre.
Selon Mountaga, les élections sont indispensables pour que «la gouvernance en cours soit alors soumise à la sanction du peuple qui aura bien évidemment le dernier mot». A travers cette déclaration, Me Tall clarifie sa position quant à l’opposition de son parti dans le projet d’une candidature unique de la Majorité présidentielle en faveur du président IBK en juillet 2018.
Ces propos du chef du parti du Soleil levant arrivent au moment où il refuse que son parti entre dans le Gouvernement de Soumeylou Boubèye Maïga. En optant pour une candidature à l’interne, l’avocat compte sur un parti qui a plus de 25 ans d’existence. Pourtant, le CNID-Faso Yiriwaton n’avait obtenu que 45 384 voix lors de la dernière élection présidentielle, soit 1, 54% des voix exprimées au 1er tour. Une triste réalité qui fait croire à certains observateurs qu’il est dans la logique de faire monnayer ses voix à IBK, en cas de 2ème tour en juillet 2018, comme ce fut le cas en juillet 2013.
Moussa Mara, président du parti Yelema, ancien Premier ministre
La candidature de l’ancien Premier ministre, Moussa Mara à la présidentielle de 2018 ne souffre d’aucune ambigüité. Ancien membre de la CMP dont il fut d’ailleurs le premier président, son parti Yelema, ne participe plus aux activités de soutien à IBK. Depuis son débarquement de la Primature, et le rapport accablant de l’Assemblée nationale sur sa visite à Kidal, l’ancien ministre de l’urbanisme et de la politique de la ville dans le tout premier gouvernement d’IBK semble être dans une logique d’en découdre avec le régime.
Il ne cesse de multiplier les sorties médiatiques, pour critiquer la gouvernance d’IBK. Ses fléchettes à l’endroit du régime mettent en évidence sa rage de prendre sa revanche sur celui qui l’« a fait monter sur l’arbre avant de couper le tronc ». Cela passe par son élection à la magistrature suprême. Mais tout comme Me Mountaga Tall, Moussa Mara est aussi comptable de la gestion d’IBK aux yeux des Maliens. Au-delà, sa candidature sera portée par un parti sectoriel qui n’est connu que dans la commune IV du District de Bamako. En plus, les résultats engrangés par son parti en 2013 ne font guère de lui un foudre de guerre lors de la présidentielle de 2018. Pour preuve, le parti avait terminé 11ème lors du 1er tour de la présidentielle de 2013 avec 45 227 voix, soit 1,53% des suffrages exprimés.
Dramane Dembélé, membre du CE Adema, ancien ministre
Candidat (à la surprise générale) malheureux lors de l’élection présidentielle de 2013, Dramane Dembélé aussi rêve de séjourner à Koulouba en 2018. Depuis un moment, l’ancien ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat d’IBK se bat pour obtenir une candidature à l’interne de l’Adema PASJ dont il est le 2ème vice-président. Il a déclaré, le dimanche 21 janvier 2018, lors d’un meeting tenu au Palais de la Culture Amadou Hampâté Ba de Bamako, sa candidature aux primaires de l’Adema-PASJ. C’est dire qu’il se lance dans guerre dont il devra d’abord gagner la première bataille au sein de son parti, une formation qui reste toujours indécise par rapport à son soutien au président IBK dès le 1er tour.
Contrairement à Me Mountaga Tall et Moussa Mara, son parti s’est classé 3ème lors de la présidentielle de 2013 derrière le RPM et l’URD, avec 286 929 voix sur un total de 3 126 521 de suffrages exprimés par les Maliens.
Choguel Kokalla Maïga, président du MPR, ancien ministre
Grand soutien d’IBK lors du 2ème tour de l’élection présidentielle de 2013, membre de la Convention de la Majorité présidentielle, l’ancien ministre de l’Economie numérique, de l’Information et de la Communication, Porte-parole du gouvernement, Choguel Kokalla Maïga est le président du Mouvement patriotique pour le Renouveau (MPR). Si son parti est resté fidèle à IBK durant ces 4 dernières années au pouvoir en le défendant sur toutes ses actions, c’est, sans doute, grâce à son effort personnel. Car, indiquent des sources bien introduites dans le parti, il a dû batailler fort pour convaincre les militants du parti à rester dans la logique de soutien à IBK. Mais depuis sa retraite du département de l’Economie numérique, de l’Information et de la Communication, Choguel Kokalla Maïga ne semble plus avoir d’arguments face aux opposants à son choix au sein du parti. Par conséquent, il risque d’aller à l’élection présidentielle de 2018 contre son gré. Cependant, il dirige un parti qui est jugé absent au-devant de la scène politique depuis quelques temps. Au-delà, de 2002 à 2013, son parti n’a jamais dépassé la barre des 3% à une élection présidentielle au Mali.
En 2002, le MPR a été éliminé dès le 1er tour avec 2,73 % des voix exprimées. Il a soutenu le candidat Amadou Toumani Touré au second tour.
A la présidentielle de 2013, Choguel Kokalla Maïga a eu 69 767 voix, soit 2,36% des voix exprimées. Au 2ème tour de cette élection, il a été d’un grand soutien à IBK contre le candidat de l’URD, Soumaïla Cissé.
Mohamed Ali Bathily, président des APM, ancien ministre
Mohamed Ali Bathily est celui qui a bâti sa gloire sur le dos du régime IBK. L’argent du régime a été utilisé pour la création des Associations Pour le Mali (APM) dont il est le président. Pour rappel, lors du meeting des APM, tenu les 28 et 29 octobre 2017 à Koutiala, l’ancien ministre de la justice, puis de l’Habitat, de l’Urbanisme, et des Affaires Foncières prenait la défense de son fils Youssouf Mohamed Ali Bathily dit Ras Bath, considéré comme le bourreau du régime, en ces termes :
« Ras bath est bel et bien mon fils et il suit l’éducation d’homme intègre et de vérité qu’il a reçue de la part de son père. Si je dois sortir du gouvernement qu’on me sorte. Je n’ai pas trahi IBK, ce sont les peureux qui se cachent pour trahir. Il faut qu’on se dise la vérité. Mon fils Ras Bath est un enfant qui a été éduqué dans la vérité, et il l’a héritée. Il continuera sur son chemin de dénonciation et cela sur le chemin de la vérité. Il est devenu un serpent ! Si je le jette on le tuera, je l’attache donc à la hanche». Et pour marquer d’une pierre blanche les relations futures qu’il entretiendra avec le chroniqueur, le ministre n’avait pas manqué aussi de critiques contre la gestion de la justice par le président IBK. Comme son fils, le vieux Bathily après 4 ans dans le Gouvernement, estimait, que le temps était venu pour que « certaines vérités soient dites sur les 4 ans de gouvernance actuelle du pays ». « Les révoltes actuelles des populations contre certains juges (à Kolokani, Kangaba, Nioro) et l’emprisonnement quotidien des paysans à cause leurs terres par des spéculateurs fonciers, prouvent à suffisance qu’il n’y a pas de justice dans ce pays. Il ne sera plus question de se taire sur les injustices sociales. Et nul ne sera plus esclave de personne dans ce pays».
La réaction de révolte du ministre avait suscité de grands débats dans les milieux politiques avec des interrogations restées sans réponses : Pourquoi Me Bathily a-t-il attendu si longtemps avant de soutenir son fils ? A-t-il un agenda caché pour 2018 ? Conséquence directe, il n’a pas été reconduit dans le Gouvernement Soumeylou Boubeye Maïga. Et depuis le jeudi 25 janvier 2018, il est suspendu de toutes activités de la Convention de la Majorité présidentielle sur ordre du Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maïga : « Sur ordre du Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maïga, l’Ex ministre Mohamed Ali Bathily, père du chroniqueur Ras Bath est exclu de toutes les activités de la CMP. Selon les instructions du PM, aucune correspondance, invitation, partage d’informations, ou fréquentation avec lui ne sera tolérée pour un membre de la CMP », peut-on lire sur les réseaux sociaux.
En effet, depuis quelques temps et au regard de ses critiques contre le Gouvernement, Mohamed Ali Bathily est pressenti caresser des ambitions présidentielles en 2018. Alors, sa mise à l’écart du Gouvernement et de la CMP pourrait être une source de motivation de plus pour son projet. Ainsi, en plus des APM qu’il a entretenues durant des années avec les moyens de l’Etat, il pourra compter sur le soutien de son fils Ras Bath, très populaire dans certains milieux des jeunes, des religieux, des populations et de la société civile.
Youssouf Z KEITA