« La main que tu ne peux couper, baise la ». Cet adage touareg peut il s’appliquer aux récentes défections de militaires influents du MNLA tel que le Colonel Assalat ag Habi ? L’avenir le dira. Le passé a parlé. Même si l’histoire ne se répète pas, elle peut, quelquefois, le moment venu, balbutier des soubresauts du passé. Mais alors, que faire de cette main ? Sans doute ne pas la couper ni la baiser mais la tendre, et le temps venu, la serrer. Toutefois entre le baiser de Judas et les mains coupées de la chariya des salafistes djihadistes il est temps de se connaître voire se reconnaître pour que l’on puisse restaurer la cohésion sociale par delà les illusoires et versatiles appartenances ethniques et les frileux replis identitaires obscurantistes.
Alors, quid du statut d’un «déserteur-rallié »? Impunité-prime à la kalach ou justice démocratique ? Militaire ou civile ?
Pourtant, après toute guerre, asymétrique ou frontale, qu’elles soient mondiales, qu’elles aient duré 100 ans comme avec la «perfide Albion » ou 8 ans contre le colonialisme français en Algérie, sans oublier celles des États-Unis d’Amérique au Vietnam et bien d’autres, toute guerre est suivie d’une paix.
Un autre adage populaire affirme que « la paix n’a pas de prix ». Serait-ce un adage béat benoîtement énoncé? La paix a un prix mais ce n’est pas celui du sang: son coût est estimable. Ce coût ne peut être que celui du renforcement politique de l’État-nation ancré sur un support d’une armée aux valeurs républicaines ré affirmées et défendues. Or ce renforcement fait-il l’objet de cet «Accord » qui fera l’objet d’une immense cérémonie le 15 mai prochain. Certes non ! En effet, ce document forgé à la « poigne institutionnelle » (j’allais écrire « fondateur d’un nouveau Mali), éloigné d’un enthousiasme bienfaiteur, sans conviction consensuelle, regardé de haut par certains, mais qu’il faut néanmoins parapher sans illusion, ce document interpelle à plus d’un titre.
Je ne prendrai en compte, sans pour autant dénaturer la philosophie générale du texte, que l’élection du Président de région au suffrage universel direct qui me paraît être la clé de voûte de la régionalisation et qui aurait dû, entre autre, satisfaire aux revendications de la CMA (Coordination des Mouvements de l’Azawad) : ce ne fut pas le cas. Pourquoi ? J’y répondrai.
Ce document révèle une dérive régionaliste qui met à mal l’extrême fragilité de cet Etat-nation en voie de démantèlement et soumis à des pressions étrangères qui défendent, avant tout, leurs propres intérêts. Alors, la paix entre maliens et dans la sous région, peut elle trouver sa place dans de telles circonstances où la mythique et très lointaine neutralité de la nébuleuse communauté internationale prévaut ?
La paix ne peut pas être acquise par des démarches institutionnelles, par des appareils d’État ou ceux de partis politiques aussi volontaristes soient-ils. La paix résultera de rapports de force politico-militaires structurés par l’émergence du peuple malien dans l’arène politique nationale. En témoignent les manifestations pacifiques de soutien aux populations de Ménaka libérées du joug du MNLA. En témoignent, en d’autres temps, les actions résistantes menées à l’encontre du MUJAO par les jeunes de « Nous pas bouger », « les patriotes » et « Les patrouilleurs » à Gao.
La paix sera durable si le pays a capacité à se projeter dans l’avenir, à se mobiliser afin de chercher et trouver une nouvelle trajectoire. Quel projet de société viable et fiable après trois ans de graves turbulences politico-militaires qui ont mis en cause l’unité et l’intégrité territoriales du pays ?
Une « paix référendum » risque de l’enfermer dans un carcan binaire. Alors, que reste-t-il ? Il ne peut y avoir de paix durable sans le peuple malien sous une forme qui lui appartient de définir, avec les organisations qu’il s’est données. Assise nationale ? Conférence ? Forum ? J’aime bien « forum » cet agora des Romains où se discutaient les affaires publiques. A réfléchir sans palabrer !
Les crises maliennes ? Et si la crise « identitaire » incarnée par les rébellions armées de petits groupes touaregs et arabes minoritaires, était également révélatrice d’une crise nationale d’une nation qui se mentirait à elle même ? Est-c e que « l’Accord d’Alger » qui régionalise l’État et ethnicise la nation, n’est il pas le mauvais fruit de cette crise, en se référant trop souvent à son glorieux passé impérial révolu.
Il y a eu, « l’État des masses » tribalisées de la Jamahiriya libyenne de feu le colonel Qaddhafi. Dans d’autres contextes géopolitiques, s’institutionnaliserait-il un « État régional » dans un Mali devenu géostratégique et qui servirait de « laboratoire » expérimental à de nouvelles modalités organisationnelles à l’intérieur des frontières nationales actuelles ?
Idéologie régionaliste
Cet « État-régional-cacophonique » serait générateur de confusions généralisées, de perte de valeurs et de repères politiques républicains, au profit de forces nationales et internationales les plus conservatrices et obscurantistes.
Une organisation territoriale du politique enclenche une idéologie qui lui correspond. On assisterait ainsi à l’émergence d’une idéologie régionaliste à caractère ethnique qui relèguera l’unité nationale et l’idéologie qui lui est consubstantielle, aux « calanques sahariennes ». Cette idéologie régionaliste « ethniciste » s’exerce depuis longtemps dans l’Adagh (que le colon a appelé « Adagh des Ifoghas » conférant ainsi une autonomie à une chefferie fabriquée, une assise territoriale et, plus récemment, dans le Macina par la création du Front de Libération du Macina à dominante peule.
On assistera ainsi à un glissement insidieux d’un État- nation qui sera un assemblage de régions et de territoires régionaux gérés et administrés par des présidents élus au suffrage universel direct qui n’auront à rendre compte qu’à leurs électeurs : quand et comment ? Cette modalité électorale illustrera une personnalisation (et ses dérives : népotisme, clientélisme, etc…) des pouvoirs régionaux susceptibles de s’opposer, le cas échéant, aux pouvoirs d’État. Les pouvoirs qui leur seront ainsi attribués ne seront pas de la même nature que ceux qui leur auraient été conférés par une élection faite par les membres des conseils régionaux devant lesquels le président élu par ses pairs aurait des comptes à rendre. Cette option, qui n’a pas été retenue, exprime pourtant, dans l’arène politique régionale, la solution la plus démocratique et donc la plus proche du peuple. Le choix mentionné dans le document risque fort de contribuer à disloquer l’unité nationale et à institutionnaliser les inégalités régionales ce qui fera les choux gras des multinationales et autres puissances financières compétitrices et des forces politiques néo libérales. Ce n’est pas une structure transversale interrégionale qui permettra de réguler les inégalités institutionnalisées car une telle structure postule l’existence d’un État fort ce qui est loin d’être le cas.
Ces assemblées régionales illustrent une démocratisation décentralisée qui sont une partie intégrante du processus de changement, de mutations étatiques. Il y a une contradiction insupportable entre ces instances démocratisées et l’élection au suffrage universel direct des présidents de régions qui concentrent tous les pouvoirs, hors contrôle populaire : despotisme régional ?…..
Alors pourquoi la plupart des avancées contenues dans ce document globalement favorables aux revendications des groupes armés « narco rebelles » comme les dénomment certains, ne serait-il pas paraphé par la CMA ? Plusieurs raisons peuvent expliquer les tergiversations permanentes de cette coordination.
Deux analyses complémentaires et structurelles participeront à apporter un éclairage sur un éventuel refus, tout en soulignant que celui-ci n’englobe pas nécessairement la totalité des composantes de cette coordination « flexible » selon les circonstances.
D’une manière générale, les dynamiques des systèmes politiques touaregs, appartiennent aux sociétés segmentaires dont les ressorts constants sont ceux de la fusion et son contraire la fission. En d’autres termes, ils concernent les alliances intra tribales éphémères et son contraire, à savoir la scission à l’intérieur du même niveau social. Ce jeu dialectique « union/désunion » ou « alliance/séparation) n’implique pas, loin s’en faut, bien au contraire, la création d’un pouvoir central permanent. La dynamique de ces systèmes politiques d’action et de pensée, ne peut conduire à une centralité du pouvoir. Les rébellions des années 1990-95, 2006 et les actuelles, peuvent l’attester. En effet, en 1990, il y avait 5 ou 6 fronts différents finalement regroupés au sein du MPA pour les besoins des négociations.
Impossible État touareg
Chaque front autonome et aux intérêts divergents recouvre, dans ses grandes lignes, un lignage (une fraction pour utiliser un vocabulaire administratif), c’est-à-dire sur sa parenté élargie et sur ses affidés. Il en découle une idéologie lignagère fortement ancrée dans les actions et les représentations du politique : chaque lignage a sa propre histoire à laquelle les personnes qui le composent s’identifient et qui se distingue des autres lignages : l’histoire du peuplement touareg peut également en témoigner. Il s’en suit que toute tentative de création d’une « ethnie touarègue » est vouée à l’échec car les rapports de parenté (consanguinité et alliances matrimoniales) fonctionnent comme des rapports politiques autonomes. Par ailleurs, la grave erreur commise par les tenants d’un « État touareg » trouve aussi dans l’amalgame qui est systématiquement fait entre une communauté culturelle (qui existe incontestablement) et une communauté politique ethniquement homogène. L’une ne recouvre pas l’autre : l’Histoire (y compris celle des rébellions armées) est là pour le rappeler.
À ces dynamiques segmentaires (union/scission ; fusion/fission) se surajoutent les représentations et pratiques factionnalistes.
Pour l’heure, ces dynamiques sont encore à l’œuvre dans la CMA dont le leadership est assuré par le MNLA qui a tenté d’apparaître comme le mouvement centralisateur. Cette coordination a fonctionné dans un contexte d’affrontements guerriers car il y avait un ennemi commun fédérateur, à savoir, l’État et son armée. Mais (et ce mais est déterminant) lorsqu’il s’agit de négocier un retour à la paix chacun retourne sur ses positions personnelles, cherchant à « tirer ses billes » afin d’entrevoir sa survie politique dans un contexte de compétition pour le leadership local.
Dans cette configuration, l’exemple le plus probant est celui de la récente création d’une base militaire autonome composée exclusivement d’une famille élargie de la « fraction » des Chemen Ammas, affiliés au MNLA.
Ces dynamiques inhérentes au système politique touareg circonscrit, pour l’analyse, aux rebelles débouchent sur trois types de stratégies :
1) Des ralliements individuels (sous forme d’allégeance) au Mali.
2) Des adhésions aux Accords, en le paraphant du « bout des pieds »
3) Un rejet réitéré par des leaders irrédentistes dont c’est le fond de commerce, et évoluant à l’étranger (Mauritanie, France, Maroc) dans de bonnes conditions matérielles. Quel serait leur avenir politique dans un contexte de paix paraphée ?
Pourquoi un irrédentisme sans issue même de secours ?….Les Accords résultent de négociations politiques visant à un compromis acceptable par toutes les parties. Ils sont porteurs d’un retour à la « paix civile » visant à réintroduire et à réinsérer les belligérants dans le jeu démocratique, à travers des élections locales et régionales par les assemblées régionales et les présidents élus au suffrage universel direct. Or, pour des raisons d’ordre démographique, ces leaders, probablement conscients de leur absence d’assises sociales et politiques civiles, ont sans doute compris qu’ils ne pouvaient pas accéder au pouvoir régional par la démocratie élective, d’où leur fuite en avant. Il en résulte ainsi une recrudescence d’affrontements guerriers (Gatia/Mnla, Fama/Mnla) qui cherchent à établir des rapports de forces militaires qui pourraient conduire ; cette fois-ci, à une « paix militaire » favorable aux revendications des séditieux ou à une reddition des rebelles qui effacerait définitivement la débâcle meurtrière du 21 mai 2014 à Kidal.
Enfin, quid des groupes armés narco djihadistes pour qui selon le Cheikh Moujahid Abdoullah Youssou Azzam, diplômé de l’Université Al Azza du Caire « Rien que le jihad et les armes. Pas de négociation, pas de conférences, pas de dialogue ». Alors une paix inclusive avec qui ? Avec quoi ? Comment ? C’est une autre histoire !….
André BOURGEOT
Île de France 12 mai 2015
Source: Le Republicain 13/05/2015