Mélanger la religion à la politique peut être un cocktail assez explosif dans un pays où les analphabètes (dans tous les sens du mot) sont majoritaires et où n’importe quel charlatan peut bâtir sa chapelle avec des illuminés prêts à mourir pour la défendre. Les participants à la conférence nationale l’avaient compris en 1991 (29 juillet au 12 août 1991) en prohibant dans la Constitution des partis d’essence religieuse.
Indépendamment de cette crainte d’exposer la laïcité au péril islamiste, l’islam est souvent analysé comme étant opposé au progrès, à l’essor, à l’épanouissement de l’être et au développement fut-il socioéconomique. Et cela d’autant qu’elle condamne souvent le fidèle à la fatalité et à la résignation face à son sort qu’il lie à un destin inexorable. Et pourtant, le Mouvement Ançar Dine de Seid Cherif Ousmane Madani Haïdara est en train de prouver le contraire par des actions concrètes en dehors de l’endoctrinement.
Déjà, il faut tirer le chapeau aux responsables et aux fidèles d’Ançar Dine international (ADI, crée en 2004) qui ont réussi à dissocier leur mouvement de l’organisation criminelle d’Ançar Dine du parrain du terrorisme au Sahel, Iyad Ag Ghali. Malgré qu’ils prétendent se battre pour imposer aux Sahéliens l’islam dans toute la rigueur de sa pratique (application de la Charia), Iyad et sa troupe font tout ce que cette religion proscrit : ôter la vie du prochain, violer les femmes, boire de l’alcool et se droguer…
L’autre signal fort qu’Ançar Dine international envoie aujourd’hui au monde, c’est de faire de la foi non seulement le socle de la spiritualité, mais aussi le tremplin du bien-être social. C’est à cela que la récente tournée du guide spirituel, Seid Cherif Ousmane Madani Haïdara à Kayes en janvier 2019 nous a rappelé.
Le guide spirituel des Ançars y a fait œuvre utile car, cette tournée a été mise à profit pour procéder à la pose de la première pierre d’une mosquée, d’une résidence et surtout d’un centre de santé à Kayes-Ndi.
Ces infrastructures qui vont coûter près de 950 millions de nos francs sont financées sur fonds propres de la communauté des fidèles, membres de l’association de ladite localité.
La force d’Ançar Dine est là : la capacité de mobiliser les ressources propres à son épanouissement et à la réalisation de ses projets socioéconomiques comme la construction d’un centre de santé communautaire (CSCOM doté d’une adduction d’eau potable) et le prochain aménagement de 200 hectares dans une localité de la région de Ségou pour environ 650 millions d’investissement. Et ces réalisations sont loin d’être des cas isolés à son actif à travers le pays.
«Tout ce que nous réalisons, c’est avec les 5, 10, 25 francs… que nos membres cotisent volontairement», défend Salia Mallé, responsable de la section locale de Kadiolo (480 km au sud du Mali). Une localité où Ançar Dine a non seulement réalisé (à ses frais) un groupe scolaire, une résidence pour divers usages, mais a aussi instauré un système de micro-finance qui contribue au financement d’activités génératrices de revenus même en dehors de la communauté des Ançars.
L’une des caractéristiques d’Ançar Dine est sans doute cette capacité d’autofinancement. En effet, contrairement aux courants rivaux financés par les monarchies du Golfe (Arabie Saoudite, Qatar, les Emirats arabes unis…). Des fonds qui sont quasiment impossibles à chiffrer de l’extérieur de l’ADI et dont une partie non négligeable est injectée au profit de la réalisation des infrastructures du mouvement, de sociétés économiques diverses, des dons à titre privé aux sections Ançars qui le sollicitent…
Rigoureusement gérées, les ressources officielles d’Ançar Dine sont fixées par l’article 14 des statuts de 2008 et les comptes vérifiés par le Comité international de contrôle (CIC) qui a «obligation de présenter un rapport annuel à la Conférence Internationale à l’occasion de chaque Maouloud» (art. 24).
La première source de revenus du mouvement est une cotisation annuelle dite «dépense pour l’année» (San musaka) qui s’élève à 1 000 F Cfa par mois et par membre, soit 12 000 F Cfa par an perçus par les sections et dont l’intégralité des montants est envoyée à l’ADI. Il y a ensuite le «paiement mensuel» (Kalo sara) qui s’élève à 500 F Cfa par membre, dont 200 F Cfa sont envoyés au siège de l’ADN (Ançar Dine national), tandis que les 300 F Cfa restants vont à la caisse de la section pour financer les campagnes de prêche locales, l’entretien du siège, le soutien aux membres nécessiteux… entre 2009-2010, selon les responsables de l’ADI, seuls 50 % des membres recensés en 2009-2010 versaient leurs cotisations annuelle et mensuelle. Mais, cette statistique s’est beaucoup améliorée à cause de la notoriété de l’organisation liée au charisme de son guide spirituel, Seid Cherif Ousmane Madani Haïdara.
Une référence nationale pour réinstaurer la confiance entre le sommet et la base
Au-delà de ces cotisations, il existe des ressources provenant des activités économiques ou des dons personnels. Et à l’initiative de l’ADN Côte-d’Ivoire, des structures nationales de micro-finance dites «Ançar Finances» ont été mises en place. On a ainsi AFCI pour «Ançar Finances Côte-d’Ivoire» créé en 2007-2008 et AFM pour «Ançar Finances Mali» créé en 2010. Ces établissements offrent donc des microcrédits à un taux préférentiel conforme aux principes de la Charia.
Ançar Dine International, selon une étude sur le mouvement, est «une organisation dont la forme hybride oscille entre association de la société civile, ONG caritative, confrérie intramondaine et internationalisme fédéraliste». Comptant des millions de membres à travers le monde, cette organisation religieuse est devenue un espace de critiques à l’égard de l’establishment et la principale force d’opposition à la réforme sunnite communément appelée «wahhabite» ou «sunnite». Il prône un réformisme «africain» et une confirmation islamique fondée sur le serment coranique appelé Bay‘a.
Ce serment d’adhésion (Bay‘a) est en réalité le creuset des valeurs socio-morales et religieuses qui font la force et la notoriété d’Ançar Dine au Mali et à l’extérieur. En effet, à partir du moment où un fidèle fait ce serment, les autres membres n’ont aucune raison objective de douter de sa moralité et peuvent lui faire confiance en toute circonstance.
La confiance ! C’est le mot clé de l’extraordinaire capacité de mobilisation des ressources propres à l’organisation. Les fidèles, aussi pauvres soient-ils, n’hésitent pas à mettre la main à la poche ou au portefeuille parce qu’ils savent que celui ou celle à qui ces fonds sont confiés n’en fera pas un autre usage qu’au profit de la communauté ou de l’organisation. Une confiance qui fait défaut aux autres organisations voire aux communautés ou même la nation à toutes les échelles.
Aujourd’hui, les citoyens sont incapables d’initier des projets communautaires dignes de ce non par manque de leaders en qui tout le monde a confiance pour ne pas détourner leurs cotisations. Et c’est en cela aussi que les responsables (locaux, régionaux, nationaux et internationaux) d’Ançar Dine doivent être des références pour l’ensemble de la nation. Chaque courant religieux, comme toute organisation sociale, a ses travers. Mais, cela ne doit pas nous empêcher d’adhérer à leurs valeurs positives !
Des valeurs qui sont le principal atout d’Ançar Dine pour mettre en place un espace d’autonomie spirituelle, sociale, économique et politique au Mali !
Moussa Bolly
La «Baya» pour réaffirmer sa foi musulmane
«Ashhadu ‘an lâ illâha illâ-l-lâh, wa-‘ashhadu ‘anna Muḥammadan rassûlu-l-lâh» ou «J’atteste qu’il n’y a pas de divinité en dehors de Dieu et que Muhammad (PSL) est le messager de Dieu» ! C’est la Chahada ou Shahâda (profession de foi de l’islam, dont elle constitue le premier des cinq piliers), le serment qu’il faut prononcer pour rejoindre la communauté musulmane.
Elle est directement liée au tawhid, autrement au principe d’existence et unicité de Dieu. Mais, à Ançar Dine international, on estime qu’être musulman de naissance ne suffit pas et n’est pas une garantie de comportements conformes à la religion.
Et comme le rappelle souvent son Guide spirituel, Seid Chérif Ousmane Madani Haïdara, on peut se revendiquer musulman et être criminel ; on peut prier et tuer, violer ou commettre l’adultère… C’est en ce sens que la «Baya» (Bay‘a), pour ce courant religieux, représente une sorte de réengagement, de confirmation de la foi musulmane.
Effectuée publiquement, la «baya al-islamiyya», se compose de six serments : Je n’associerai rien à Allah ; je ne volerai jamais ; je ne commettrai pas l’adultère ; je ne tuerai jamais mes enfants ; je ne commettrai aucun déshonneur ni par les mains ni par les pieds ; je ne désobéirai jamais au prophète Muhammad (PSL).
Le fidèle ayant exécuté ce premier serment pourra, par la suite, effectuer une seconde «baya» appelée «Al-Rizwân» qui l’engage vis-à-vis de la cause de l’association Ançar Dîne international. «Allah est mon témoin ; le Coran est mon témoin ; le Cheikh est mon témoin ; vous les musulmans êtes mes témoins ; si je trahis la confiance du Maître, qu’Allah et le Coran abolissent mon avenir».
Après cette seconde « baya», chaque fidèle est tenu de verser une cotisation mensuelle. Ançar Dîne international revendique aujourd’hui des millions d’adeptes ayant accompli la Baya al-Rizwân.
M.B