1-LES FAITS ALLÉGUÉS: Rappelons qu’Amadou Haya Sanogo et son groupe ont fait un coup d’État militaire, issu d’une insurrection armée le 22 mars 2012 contre le pouvoir démocratiquement élu de feu Amadou Toumani Touré (ATT). A la suite du renversement du régime politique de celui-ci et en violation de la Constitution, ils furent inculpés de « complicité d’enlèvement de personnes et poursuivis pour assassinat de 21 militaires bérets rouges » retrouvés dans une fosse commune à Diago. Les victimes ont été portées disparues depuis le 2 mai 2012 après un conflit armé. Un procès avait été organisé et suspendu par la suite. Après quelques années de détention des accusés, le procès devait reprendre le 25 février 2021, puis reporté au 11 mars 2021. Les avocats de la défense ont toujours plaidé la relaxe des prévenus au bénéfice de la loi d’entente nationale. Selon l’opinion de plusieurs observateurs, la Cour doit statuer sur l’application de la dite loi et non sur l’extinction de l’action publique, Nous allons d’abord examiner le cadre juridique à l’intérieur duquel la Cour pourrait intervenir dans sa recherche de la vérité et l’équité. La valeur juridique de la Loi d’entente nationale pourrait être contestée à cause de son caractère rétroactif.
2- Loi No. 2019-042 du 24 juillet 2019, portant loi d’entente nationale, adoptée par l’Assemblée Nationale à sa séance du 27 juin 2019.
Article 2 : visant à concrétiser la politique de la restauration de la paix et de la réconciliation nationale, socle de la stabilité et du développement de la Nation, la présente loi a pour objet : – l’exonération des poursuites pénales engagées ou envisagées contre les personnes ayant commis ou ayant été complices des faits visés à l’article 3 ci-dessous ;
L’adoption de mesures de reconnaissance et de réparation en faveur des victimes des douloureux évènements survenus dans le contexte visé à l’article 3 ci-dessous ; – l’adoption d’un programme de réinsertion des personnes qui ont été des victimes collatérales dans les évènements visés à l’article 3 ci-dessous.
Article 3 : Les dispositions de la présente loi s’appliquent aux faits pouvant être qualifiés de crimes ou délits, prévus et punis à l’art. 3 du Code pénal malien (voir plus loin).
les lois pénales spéciales et les conventions et textes internationaux ratifiés par le Mali en matière de protection et de promotion des Droits de l’Homme, survenus dans le cadre des évènements liés à la crise née en 2012 et qui ont gravement porté atteinte à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale et la cohésion sociale.
Article 4 : Sont exclus du champ d’application de la présente loi, « les crimes de guerre », les crimes contre l’humanité, les viols, les conventions internationales et africaines relatives aux Droits de l’Homme et au Droit International Humanitaire et tout autre crime réputé imprescriptible, tel que stipulé dans le STATUT DE ROME du 17 juillet 1998 dont le Mali fait partie du traité. La même disposition est reprise dans la Constitution du Mali.
Article 18, stipule que l’action publique est éteinte à l’égard de toute personne détenue, non condamnée définitivement, pour avoir commis ou avoir été complice d’un ou plusieurs des faits visés par l’article 3 de la présente loi.
Interprétation : Dans le cas en espèce, il faut d’abord relever une incompatibilité entre les articles 3 et 4 de la loi d’entente nationale. L’art. 3 ne définit pas la nature du « crime énoncé», contrairement à l’art.4 qui est explicite. Cette disposition ne prescrit aucune garantie et protection aux putschistes. Les avocats des accusés invoquent les articles 3 et 18 comme moyen de leur défense. Ils se basent sur le libellé de l’art.3 qui est flou et qui entre en conflit avec l’art.4 de la même loi. Ils ne peuvent se prévaloir de la disposition de l’art. 18 que lorsque la Cour aura statué en premier lieu sur l’application de la loi d’entente nationale à la présente cause. La Cour doit trancher sur le conflit entre l’art.3 et l’art.4, après avoir requalifié l’infraction « d’enlèvement de personnes et d’assassinat » de « crime de guerre ». La difficulté liée à l’incompatibilité entre les articles 3 et 4 trouve sa réponse dans l’application des articles 1 et 2 de la Constitution, en donnant préséance à ce document fondamental et concomitamment à l’application de l’art.31 du code pénal.
Nous pouvons aussi nous interroger sur la valeur juridique du caractère « rétroactif » de la loi d’entente nationale dans les autres matières visées. En vertu de l’art. 4, de la loi d’entente nationale, il est clair, qu’Amadou Haya Sanogo et son groupe sont exclus du champ d’application du bénéfice de cette législation, les crimes de guerre étant imprescriptibles. L’infraction qui leur est reprochée est qualifiable de « crime de guerre ». Le choix de cette caractérisation s’explique par le mode opératoire entre deux factions militaires qui ont utilisé des armes de guerre, mettant en péril la paix sociale et la sécurité d’une population civile. Les habitants de Bamako se sont retrouvés dans un état de guerre, perturbant toutes les activités socio-économiques.
3 – LA CONSTITUTION du 14 février 1992
L’Article No.1 dispose : la personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne
Note : Cette disposition a été violée par les accusés. Les victimes ont d’abord été privées de leur liberté avant de perdre leur vie. Un procès équitable doit être tenu et la procédure judiciaire doit suivre son cours normal pour redonner confiance aux maliens.
L’Article No.2, dispose : Nul ne sera soumis à la torture, ni à des sévices ou traitements inhumains, cruels, dégradants ou humiliants.
Interprétation : Les victimes étaient des militaires qui avaient été mis hors de combat et désarmés. Comme prisonniers de guerre, ils devaient bénéficier de l’application du droit humanitaire international, mais ils auraient été assassinés et les corps jetés dans une fosse commune, sans avoir eu droit à une sépulture digne. Une telle pratique est qualifiable d’inhumaine, cruelle et dégradante pour de vaillants militaires de l’armée nationale. En vertu du code pénal militaire, même si les prévenus sont traduits devant un tribunal de droit commun, on est en droit de s’interroger sur les circonstances d’exécution de la chaîne de commandement en matière de responsabilité pénale du chef hiérarchique au sein des putschistes. La loi pénale définit et précise les infractions criminelles en plus de déterminer les peines applicables.
4 – CODE PÉNAL : Loi No.1-79 du 20 août 2001, portant Codé pénal
Art.1.- Les peines applicables en matière de justice au Mali se divisent en peines criminelles, peines appliquées aux délits et peines de simple police.
Art.2.- L’infraction que le présent Code punit d’une peine criminelle est un crime. L’infraction que le présent Code punit d’une peine de simple police est une contravention. Toutes les autres infractions sont des délits sauf si la loi en dispose autrement.
Art.3.- stipule que toute tentative de crime, manifestée par un commencement d’exécution et suspendue ou n’ayant manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur, est considérée comme le crime lui-même. Les tentatives de délit ne sont considérées comme délits que dans les cas déterminés par une disposition spéciale de la loi.
4.1 Des Peines applicables:
Art.4.- Les peines criminelles sont :
∙ 1° la mort ;
∙ 2° la réclusion à perpétuité ;
∙ 3° la réclusion de cinq à vingt ans. Toute condamnation à une peine criminelle entraînera, de plein droit, la dégradation civique et l’interdiction légale. Art.24.- Seront punis comme complices d’une action qualifiée de crime ou délit : Ceux qui, par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, conseils, injonctions, auront provoqué à cette action ou donné des instructions, indications, renseignements, pour la commettre ; ceux qui auront procuré des armes, des instruments, ou tout autre moyen qui aura servi à l’action, sachant qu’ils devaient y servir ; ceux qui auront, avec connaissance, aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs de l’action dans les faits qui l’auront préparée ou facilitée ou dans ceux qui l’auront consommée, sans préjudice des peines qui seront spécialement portées par le présent Code contre les auteurs des complots ou attentats contre la sûreté de l’État, même dans le cas où le crime qui était le but des conspirateurs ou des provocateurs n’aurait pas été commis ; les auteurs de fait de complicité seront punis des mêmes peines que les auteurs du crime ou du délit dont ils se sont rendus complices.
4.2- Des crimes de guerre :
Art.31.- On entend par crimes de guerre : a) L’homicide volontaire ; b) La torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques ; c) Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé ; f) Le fait de priver intentionnellement un prisonnier de guerre ou toute autre personne protégée de son droit d’être jugé régulièrement et impartialement ;
Interprétation : Ce qui s’est passé au mois de mai 2012 pourrait être qualifié de « crime de guerre », ayant conduit à des enlèvements, séquestration, atteinte à l’intégrité physique des victimes, suivis d’assassinat. Les douloureux événements sont survenus dans le contexte d’une insurrection armée, en violation de la Constitution en ses articles : l’art. 24 qui consacre le respect de la Constitution et l’art. 26 qui définit le fondement du pouvoir d’État et l’art. 121 en vertu duquel tout coup d’État militaire ou putsch est prohibé et constitue une autre infraction de « crime imprescriptible » contre le peuple malien. Les victimes ont été privées de leur liberté, de leur sécurité et de leurs droits constitutionnels relatifs aux droits juridiques. Il s’agit d’une violation grave du code pénal malien, qui interpelle toute instance judiciaire à considérer cette cause dans l’intérêt public par rapport à la valeur morale que représente ce crime dans la société malienne; surtout que les victimes relevaient d’un corps d’élite militaire, dont la vocation était la défense de la patrie. Encourager l’impunité, reviendrait à créer un précédent dangereux qui risque de déconsidérer l’administration de la justice avec comme conséquence, la spirale d’un régime de règlements de comptes, fondé sur des formes extrajudiciaires. Des conséquences imprévisibles qui pourraient hypothéquer l’unité nationale.
Le Mali est un pays souverain qui a décidé librement de faire partie du Statut de Rome pour contribuer au rayonnement de la justice internationale. A cet effet, il s’est donné une obligation morale de respecter ses engagements internationaux, comme l’application des normes internationales qu’il faut intégrer dans le droit positif national.
Il existe plusieurs instruments internationaux, mais dans le cas en espèce c’est le Statut de Rome de la Cour pénale internationale qui nous intéresse.
5- STATUT DE ROME DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE, adopté le 17 juillet 1998, entré en vigueur le 01 juillet 2002.
Article.8, Crime de guerre : Aux fins du statut de Rome, on entend par crime de guerre, a) Des Infractions graves aux conventions de Genève du 12 août 1949, visant les actes ci-après, lorsqu’ils visent des personnes protégées par les dispositions de la Convention de Genève :
- b) Homicide intentionnel
- c) Torture ou traitements inhumains
- d) Atteinte à l’intégrité physique
- e) Le fait de tuer ou de blesser un combattant qui ayant déposé les armes ou n’ayant plus les moyens de se défendre s’est rendu à discrétion,
- f) Les atteintes à la dignité de la personne notamment les traitements humiliants et dégradants
5.1- CONTEXTE DE CONFLITS ARMÉS : en cas de conflits armés comme ce fut le cas entre « bérets rouges » et «bérets verts » les éléments infractionnels à considérer sont :
- d) les atteintes à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements civils et la torture, e) les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants.
Interprétation : en vertu des dispositions du Statut de Rome l’infraction reprochée à Amadou Haya Sanogo et ses complices, est qualifiable de « crime de guerre » et punissable. En cas de complaisance dans la requalification de l’infraction et l’application du droit positif malien, les parents des victimes peuvent saisir la Cour pénale internationale pour que justice soit rendue. Par contre, toute renonciation aux intérêts civils ou désistement dans le dit procès de ceux et celles qui ont bénéficié d’une compensation financière, ne saurait constituer l’extinction de l’action publique au niveau pénal, le ministère public étant seul compétent à en disposer s’il existe une base juridique à cet effet. Ce qui ne semble pas être le cas d’espèce. Actuellement au Mali, le seul rempart crédible parmi les institutions, semble être le système judiciaire qui a connu ses moments de dysfonctionnement. Mais avec une nouvelle catégorie de magistrats honnêtes, crédibles, indépendants d’esprit et ayant compris les exigences de sécurité du droit et la valeur que représente les principes d’éthique et de déontologie de la fonction; ceux-ci sont entrain de faire renaître l’espoir dans le cœur des justiciables maliens en redorant l’image de cette noble institution. Il est important pour les « magistrats de la poursuite et du siège » de continuer à préserver et honorer la fonction de magistrat et le pouvoir judiciaire contre toute forme d’ingérence, conformément aux articles 81 et 82 de la Constitution. Le respect sacré de leur serment en toute circonstance est garant de leur intégrité professionnelle.
Conclusion : En vertu de l’article no.4 de la loi d’entente nationale, les intimés ne peuvent pas bénéficier d’une « amnistie» ni « grâce ou pardon national » ou d’un quelconque « non lieu ». Sur le plan de l’application des instruments juridiques maliens, il n’existe pas de base juridique en vertu de laquelle Amadou Haya Sanogo et son groupe peuvent bénéficier de l’extinction de l’action publique. Le raisonnement fondé sur la loi d’entente nationale relève de l’argument politique que judiciaire. Les arrangements politiques ayant conduit à l’élaboration d’un protocole d’accord et le versement d’une compensation financière par l’État à la partie civile, peuvent être interprétés comme étant la reconnaissance tacite d’une faute commise et admise. La poursuite au pénal ne peut être abandonnée sur cette base. Les accusés doivent être renvoyés à un procès et la Cour doit dire le droit. La loi d’entente nationale est assimilée à une amnistie qui ne peut nullement s’appliquer à des prévenus qui bénéficient encore de la présomption d’innocence et qui n’ont pas été jugés, ni reconnus coupables des infractions qu’on leur reproche. L’amnistie est un pouvoir reconnu au chef de l’État qui l’exerce en faveur des condamnés alors que Amadou Haya Sanogo et ses présumés complices ne sont pas encore condamnés. Quant à l’infraction de crime de guerre, elle est imprescriptible et échappe à l’application de la loi d’entente nationale.
Que Dieu bénisse le Mali, que la vérité et la justice triomphent toujours, que la sagesse et la résilience gagnent les cœurs en toute circonstance de la vie humaine.
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