jihadisme
Après avoir reçu à l’Elysée les dirigeants du G5 Sahel à tour de rôle, le président Emmanuel Macron n’a plus jugé nécessaire d’effectuer le déplacement à N’Djamena (Tchad) pour le sommet.
Si la raison sanitaire a été diplomatiquement évoquée, nous pensons que c’est parce que le président français avait obtenu plus qu’il espérait obtenir dans la capitale tchadienne : le prolongation de sa présence militaire dans le Sahel, pas de dialogue avec les extrémistes Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa, la mise en œuvre intégrale de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale, le développement du Sahel sous la coupole de l’Agence française du développement (AFD)… Il pouvait alors se permettre l’arrogance affichée dans ses propos liminaires lors de son adresse aux chefs d’Etat du G5 Sahel le 16 février 2021.
Des propos que la sociologue et altermondialiste Mme Aminata Dramane Traoré a décortiqué, analysé avant de riposter dans un document audiovisuel intitulé : «Des armes et des urnes» (Mali Kura, Forum sur un autre Mali).
«Les autorités de transition maliennes sont désormais réalignées sur les trois axes fondamentaux dans lesquelles nous les attendons… La feuille de route de la Cédéao, pour la tenue des élections dans un délai de 18 mois.
La feuille de route de Pau en matière de lutte contre le terrorisme. Tous les engagements pris pour les FAMa ont été tenus par les autorités de transition.
Je le dis ici avec beaucoup de clarté.
Et la relance de la mise en œuvre des accords d’Alger, comme en atteste la tenue symbolique du comité de suivi à Kidal le 11 février, qui était l’engagement qu’avait pris le président de la transition à mon égard et qui a été scrupuleusement tenu…», a martelé Emmanuel Macron derrière son écran en s’adressant aux dirigeants du G5 Sahel réunis en sommet les 15 et 16 février 2021 à N’Djamena (Tchad)
Assuré de l’allégeance de ceux qui buvaient ses propos injurieux comme paroles d’évangile, il pouvait se permettre de remuer le couteau dans la plaie.
«En quelques mois, je dois bien dire que ces autorités de transition ont donné plus de gages que les autorités précédentes en 3 ans.
Ce réalignement avec les nouvelles autorités de transition maliennes, pleinement constaté lors de la visite du président N’Daw à Paris, combiné à une situation post-électorale au Burkina Faso et au Niger, ouvre une fenêtre d’opportunité pour effectuer des percées militaires, civiles et politiques», a-t-il affirmé.
«Arrogants et insultants, ces propos visent incontestablement à nous dresser les uns contre les autres et à ajouter au chaos pour mieux dominer», a répliqué Mme Aminata Dramane Traoré dans «Des armes et des urnes» (Mali Kura, Forum sur un autre Mali), un document audiovisuel.
Et quand, dit-elle, «une telle insulte nous est faite, nous avons le devoir d’être plus perspicaces, solidaires, stratèges et pédagogues».
Pour la militante altermondialiste, «il nous est demandé par les dominants de nous saisir des armes et des urnes pour résoudre les mêmes problèmes existentiels qui se posent à eux, des problèmes de développement».
Et pourtant, comme elle le défend si bien, «toutes les questions devraient être sur la table aujourd’hui comme l’exige l’extrême gravité de la situation sanitaire et de ses conséquences économiques et sociales».
En tout cas, Aminata Dramane ne peut pas s’imaginer que «la France puisse continuer à se positionner en donneur de leçons aux Sahéliens».
Hélas, rappelle l’écrivaine, «c’est précisément la nature de la démocratie qui nous a été imposée depuis la conférence de la Baule.
C’est précisément le paradigme de développement qui nous a été également imposé qui ont produit le chômage et la pauvreté de masse et qui, à leur tour, ont également produit le jihadisme.
Le jihadisme n’est pas la cause, mais la conséquence de ces politiques imposées».
Et comme nous l’avons toujours défendu, l’instabilité est un solide bouclier pour défendre les intérêts militaires, économiques, politiques et géopolitique/géostratégiques de la France en Afrique subsaharienne.
En effet, la lutte contre le terrorisme est le plus efficace et le plus confortable bouclier que la France et les autres puissances néocolonialistes peuvent avoir en la matière.
Ce phénomène a été créé de toute pièce pour aboutir au chaos sécuritaire actuel dans la bande sahélo-saharienne.
Une insurrection contre les systèmes économique et politique
«Le jihadisme, comme les rebellions qui étaient jusqu’ici cycliques, constitue des formes d’insurrection contre des systèmes économiques et politiques qui ne sont pas décryptés, analysés.
Mais, on en fait toujours une question de personne», est également convaincue la femme politique.
Malheureusement, au lieu que la démocratie aide un pays comme le Mali à être gouverné dans le sens des vraies préoccupations et aspirations de ses populations, elle a accentué la pression du joug néocolonialiste.
Et comme le rappelle si bien Mme Aminata Dramane Traoré, depuis les événements de mars 1991, «tous ceux qui se sont succédés au pouvoir constituent la même classe politique qui semble s’accorder que ce qui est en question, c’est la manière de gérer et non pas la nature du développement.
Or, c’est la nature du développement qui nous vaut aujourd’hui toutes ces crises».
Et de s’interroger, «qu’est-ce qui peut expliquer aujourd’hui que toutes ces puissances soient confrontées à un véritable casse-tête chinois quant à la gestion des masques, des respirateurs, des lits d’hôpitaux et à présent des vaccins» ?
Pour Aminata Dramane Traoré, les Maliens et les Africains doivent comprendre qu’il est «temps de tourner la page de la démocratie faussement représentative» pour aller «au fond des choses».
Et cela d’autant plus que, rappelle-t-elle, «ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est l’avenir du monde avec la guerre froide qui renaît de ses cendres.
C’est à cause des Chinois et des Russes que la France ne veut pas partir du Mali et du Sahel».
Et Emmanuel Macron lui a donné raison dans l’une de ses récentes sorties médiatiques sur la question de l’allègement de la dette des pays sahéliens.
«Rien ne sert de restructurer les dettes africaines si c’est pour en contracter plus envers la Chine», a-t-il déclaré lors du sommet de N’Djamena (Tchad).
Le président français a saisi l’opportunité pour s’exprimer sur la question de la dette africaine.
Clairement, la France a peur de perdre du terrain en Afrique au profit de la Chine, de la Russie et des pays émergeants comme l’Inde et la Turquie.
Investir le champ des idées pour sortir de la confrontation avec le terrorisme
«Emparons-nous des grandes questions qui nous concernent et que nous faisons semblant de ne pas voir.
Ensemble, nous pouvons sortir de cette guerre par le haut en investissant un autre champ, celui des idées», nous conseille la sociologue et écrivaine.
On n’a pas besoin d’être un analyste surdoué pour comprendre que l’option militaire est la plus mauvaise approche pour combattre le jihadisme au Mali voire au Sahel.
C’est ce que démontre en tout cas le Lieutenant de Vaisseau, Louis Saillans auteur du livre «Chef de Guerre».
Dans «Opération Barkhane, ce que l’on sent, c’est le vent de la mort» (France 2), il pose de nombreuses questions pertinentes.
«Pourquoi on ne gagne pas ? Moi, c’est la question qui m’habite. On maîtrise le Sahel et on fait cela dans les conditions qui sont justes.
Maintenant pourquoi ils (jihadiste/terroristes) continuent à croître ? Qu’est-ce qui fait qu’on ne parvient pas à les arrêter ?».
Et de répondre en rejoignant A.D. Traoré, «un camarde sur le front me disait l’autre jour : on en élimine un et ce sont dix qui sortent.
C’est dire qu’à un moment, il faut arrêter de croire que c’est par les armes qu’on va les avoir. Il faut engager des idées et leur proposer quelque chose qui les fasse rêver».
L’une de ses idées peut-être l’ouverture du dialogue avec Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa. Et cela malgré l’opposition de l’Elysée.
«Nous avons ces dernières semaines consolidé une convergence avec nos interlocuteurs du G5 Sahel (dont les présidents ont été individuellement convoqués à l’Elysée avant le sommet de N’Djamena) pour considérer qu’Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa sont des ennemis et en aucun cas des interlocuteurs», a déclaré M. Macron… La France sait que laisser Bamako dialoguer avec ceux-ci, c’est se préparer à faire rapidement ses valises avec le retour de la stabilité au Mali.
Et cela n’est pas pour le moment dans son intérêt.
Et pour l’ancienne ministre de la Culture (sous Alpha Oumar Konaré), «la Feuille de route présentée par le gouvernement au Conseil national de Transition (CNT) lève l’équivoque sur la question du dialogue avec les radicaux et celle de la relecture de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale.
Il faut tout simplement que nous nous donnons les moyens d’aller de l’avant pour sortir de ce guêpier».
D’où la nécessité pour le peuple malien de faire bloc derrière le gouvernement de Transition pour non seulement l’ouverture du dialogue avec les jihadistes maliens, mais aussi la relecture de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale.
Et cela conformément aux recommandations du Dialogue national inclusif (DNI). Il faut rappeler que Mme Aminata Dramane Traoré était membre du Triumvirat de DNI avec Pr. Baba Akhib Haïdara et M. Ousmane Issoufi Maïga.
Cela est d’autant nécessaire que, avec une pertinence inouïe, elle rappelle que «tous ces sommets et toutes ces décisions qui sont prises par-dessus la tête des peuples et à leur détriment ne doivent changer en rien, pour ce qui est du cas du Mali, à notre détermination de résister à l’occupation militaire».
Et «nous nous le devons au regard des résultats. Cette guerre nous vaut des milliers de morts (militaires et civils), des villages incendiés et parfois rasés, des champs et des pâturages abandonnés, des marchés désertés, des routes coupées… et un avenir tellement incertain. Nous devons en finir par tous les moyens», martèle ADT.
«Et nous le devons pour une raison historique et politique : Nous sommes dans le pays de Modibo Kéita, nous sommes ses héritiers.
Dans l’imaginaire populaire le départ du dernier soldat français (20 janvier 1961) a symbolisé la fin de la colonisation.
Le retour de la France avec armes et bagages au nom de la lutte contre le terrorisme au Sahel n’est qu’une ré-colonisation parce qu’elle n’est rien dans la mondialisation sans l’Afrique», conclut Aminata Dramane Traoré.
Autrement, comme le rappelait souvent feu le président Oumar Bongo Ondimba «la France sans l’Afrique, c’est une voiture sans carburant».
En tout cas, Aminata Dramane est déterminée à «faire taire les armes et non les peuples». C’est le sens de son combat de 2013 à nos jours.
Et cela «au regard de l’autoritarisme de l’Etat français dans son engament militaire contre le jihadisme au Mali et au Sahel».
Notre pays voire le Sahel se porterait mieux aujourd’hui si son courage, sa détermination et sa clairvoyance pouvaient faire tâche d’huile dans les cercles des élites et des dirigeants.
Moussa Bolly