Pourquoi l’Ambassade du Canada au Mali, à travers l’Unité d’appui au programme de coopération canado-malienne (UAP-CCM), refuse de payer la prime d’ancienneté des travailleurs, dont les moins anciens ont passé près de 10 ans au service de l’UAP ? Pourquoi le Canada, pays engagé pour le respect des droits de l’Homme, à travers son Ambassade au Mali, se permet de violer les droits des travailleurs qui lui ont rendu de loyaux services pendant 10 à 30 ans ?
Depuis des mois, une vingtaine de travailleurs maliens, ayant rendu de loyaux services à l’Unité d’appui au programme de coopération canado-malienne, peine à rentrer en possession de leur prime d’ancienneté. L’Ambassade du Canada n’est pas sans ignorer qu’au Mali, l’article L97 du code du travail fait de la prime d’ancienneté un complément de salaire dont le payement est exigé. Et mieux, l’article L320 du code du travail punit le non-paiement de la prime d’ancienneté.
Mais de quoi s’agit-il ?
Depuis plus de 2 décennies, dans le cadre de sa coopération avec le Mali, le Canada s’est doté d’un projet d’assistance technique, intitulé «Unité d’Appui au Programme de Coopération Canado-malienne (UAP-CCM)». Cette unité a opéré au Mali sous le couvert d’un protocole d’entente entre le Canada et le gouvernement du Mali. Elle avait pour objectif d’assurer une meilleure intégration du programme canadien de coopération aux objectifs de développement du Mali et cela à travers une structure d’appui à la planification et à l’exécution des programmes canadiens de coopération.
C’est seulement en juillet 2016 qu’elle a fermé ses portes, avec plus d’une trentaine d’employés, tous de nationalité malienne.
Comme s’ils avaient des soupçons sur la bonne volonté de la Direction de l’UAP-CCM de liquider leurs droits selon la loi malienne, les travailleurs regroupés au sein d’un collectif dénommé «Collectif des travailleurs de l’UAP-CCM», à la faveur de la fermeture, ont proposé le recrutement d’un consultant externe et indépendant pour procéder à l’évaluation des indemnités de fin de contrat.
Le consultant devait aussi expliquer conformément aux dispositions légales et règlementaires en vigueur au Mali, l’ensemble des éléments qui composent les indemnités de fin de contrat. C’est le lieu de rappeler que le consultant recruté par l’UAP-CCM a rendu un rapport provisoire en janvier 2016, pour se rendre compte que les responsables de l’UAP ne lui avaient pas fourni tous les éléments sur lesquels il devait travailler.
Faute de gestion très grave et impardonnable
«Lorsque le rapport provisoire nous a été communiqué pour observations, nous avons décelé la non prise en compte du rappel de la prime d’ancienneté et des majorations de congés pour ancienneté et pour enfants à charge», nous a indiqué un membre du Collectif des travailleurs de l’UAP-CCM. Avant d’ajouter que la prime d’ancienneté et les majorations de congés pour ancienneté et pour enfants à charge, n’avaient jamais fait l’objet de paiement pour aucun travailleur de l’UAP pendant tout le temps où l’organisation a évolué au Mali. Et, les experts qui ont en charge le traitement de ce dossier sont unanimes : «cela dénote d’une faute de gestion très grave et impardonnable».
Informé, le consultant a procédé au calcul des rappels de la prime d’ancienneté ainsi que des majorations de congés pour tous les travailleurs qui en avaient droit. Le personnel avait aussi demandé à la direction et au consultant de tenir compte de la réduction de 8% de l’impôt sur les traitements et salaires (ITS), décidée par le gouvernement du Mali, à travers la Loi n° 2016-010 du 19 avril 2016, relative aux modalités d’application des nouvelles dispositions de l’Impôt sur les traitements et salaires. Mais comme la loi n’avait pas encore été promulguée, le consultant avait souhaité surseoir à ce calcul jusqu’à la promulgation de la loi. Et en avril 2016, la loi a été promulguée avec effet rétroactif jusqu’en juillet 2015.
«La Direction, après concertation du personnel, a décidé de proroger la mission du consultant en lui faisant signer un avenant à son contrat pour le calcul du rappel de la prime d’ancienneté, des majorations de congés et de la prise en compte de la réduction de l’ITS de 8%», nous a indiqué notre interlocuteur membre du collectif des travailleurs. Avant d’ajouter que le consultant a pris en compte les observations des travailleurs, tenant à des erreurs sur les dates réelles d’embauches et sur la situation matrimoniale de certains travailleurs.
«À notre grande surprise, alors que la fermeture était annoncée pour fin juin 2016, la Direction a trouvé que les montants de la prime d’ancienneté et des majorations de congés annuels et de congés pour les mères et la réduction d’ITS, étaient très élevés et s’est rétractée par rapport au paiement», a-t-il déclaré. Suite à cette décision de la Direction, les travailleurs n’ont eu autre choix que de saisir l’inspecteur du travail.
«L’inspecteur du travail a constaté un grand écart entre les deux calculs, celui fait par le consultant et celui présenté par la Direction de l’UAP», a précisé notre interlocuteur. Selon lui, la Direction de l’UAP, appuyée par son avocat, s’est focalisée sur le fait que selon elle, le paiement de la prime d’ancienneté était frappé par la prescription extinctive.
«L’inspecteur du travail, dans sa réponse, a démenti ce prétexte avancé par l’UAP, en lui faisant savoir que la disposition qui prévoit le paiement de la prime d’ancienneté était une disposition d’ordre public à laquelle il est impossible d’y déroger même avec des accords écrits entre les parties, et que de surcroît, son non-respect exposait l’employeur à payer des pénalités», nous a indiqué le membre du collectif qui a bien voulu nous entretenir sur le sujet. Il dira que lorsque la direction de l’UAP a reçu cette lettre de l’inspecteur du travail, elle a débloqué une enveloppe de 32 millions FCFA dont le personnel ignore la clef de répartition. Il faut dire que le montant total de la prime d’ancienneté est de 112 millions de FCFA.
Le ministère malien des Affaires étrangères se débine
Sur ces faits, conscient de son incapacité de porter plainte devant la justice malienne contre une représentation diplomatique, le Collectif des travailleurs de l’UAP-CCM, va saisir le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale et de l’Intégration africaine, d’une lettre dont l’objet est : «Violation des droits des travailleurs et paiement des indemnités différentielles de fin de contrat». À cette lettre adressée au ministre, dont ampliation a été faite au Secrétariat général de la présidence de la République et à l’Ambassade du Canada au Mali, le Collectif a pris la peine d’y adjoindre un certain nombre de pièces. Ce sont : l’Etat d’évaluation des primes d’ancienneté et majorations de congés, l’Etat récapitulatif du différentiel de la prime d’ancienneté et majoration de congé, la copie de la lettre de mise en garde de l’inspecteur du travail et la copie de la lettre de l’UAP-CCM pour le paiement d’une portion de la prime d’ancienneté (32 millions de FCFA).
Le Collectif, dans sa lettre, a tenu à faire constater au ministre des Affaires étrangères du Mali qu’«il s’agit là d’une violation flagrante des lois du Mali par un pays, le Canada, dont la réputation en matière de respect des droits de l’homme est de notoriété, un pays, dit-on, «épris de justice», qui foule aux pieds les droits de pauvres travailleurs qu’il aurait utilisés et épuisés pendant plusieurs décennies». «Le reliquat de la prime d’ancienneté à payer aux travailleurs s’élève à un montant total de 73 716 372 FCFA.
En sus de ce montant, pour compenser le manque à gagner engendré par ce non-paiement de la prime d’ancienneté à temps, de même que le retard accusé dans le paiement du reliquat, nous demandons des dommages et intérêts à raison de 3 millions de FCFA pour chacun des travailleurs, ce qui fait un total de 93 millions de FCFA, à ajouter aux 73 716 372 FCFA de reliquat de la prime d’ancienneté, soit un montant total de 166 716 372 FCFA», indique la lettre adressée au ministre des Affaires étrangères du Mali par le Collectif des travailleurs.
Au lieu de jouer pleinement son rôle dans la résolution de ce conflit de travail, en s’impliquant comme cela se ferait dans une République normale, le ministère des Affaires étrangères du Mali, à travers son Directeur des Affaires juridiques, va adresser une lettre laconique au Collectif des travailleurs. «Suite à votre lettre sus référencée relative à l’objet susvisé, j’ai l’honneur de vous informer que l’Ambassade du Canada à Bamako, saisie par nos soins, indique que tous les employés concernés par la résiliation de contrat à l’Unité d’Appui au Programme de Coopération Canado-malienne (UAP-CCM ont signé le solde de tout compte au moment de leur départ en précisant ainsi avoir reçu tous les montants de leurs indemnités…».
Tel est le contenu de la lettre que Aguibou Diallo, Directeur des Affaires juridiques, a adressé au Collectif des travailleurs, suite à la saisine du ministre des Affaires étrangères du Mali. Et, comme il fallait s’y attendre, la réponse du Collectif ne s’est pas fait attendre. «Monsieur le Directeur, comme vous pouvez bien vous en rendre compte, il s’agit là d’une réclamation sur des droits acquis, et nous vous avions saisi en espérant que vous alliez analyser les argumentaires fournis par chacune des deux parties et faire une appréciation de notre réclamation.
Nous sommes alors surpris que vous ayez tout simplement bien voulu nous communiquer la teneur de la note de l’Ambassade, sans faire une analyse contradictoire des argumentaires», a indiqué le Collectif des travailleurs dans une lettre à la date du 13 février 2017, adressée au Directeur des Affaires juridiques du ministère malien des Affaires étrangères.
Mais, le Collectif dans cette 2ème lettre va avancer un certain nombre d’argumentaires, et espérer que la Direction des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères du Mali entreprenne les démarches nécessaires auprès de l’Ambassade du Canada pour mettre ses membres dans leurs droits. «Nous n’avons jamais signé un document attestant que nous renoncions au reliquat de nos droits».
En effet, le Collectif a indiqué au Directeur des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères du Mali, qu’il était sidéré par les propos tenus par l’Ambassade du Canada dans sa note en guise de réponse à sa réclamation. «Nous n’avons jamais signé un document attestant que nous renoncions au reliquat de nos droits, car la réponse fournie par l’Ambassade dans sa note va dans ce sens», indique Mme Bathily Sira Diop, représentante du Collectif des travailleurs, dans sa lettre en date du 13 février 2017, adressée au Directeur des Affaires juridiques du ministère malien des Affaires étrangères. Elle y rappelle : «Mieux, pour préserver nos droits, lorsque il y eut des écarts entre les calculs faits par l’Ambassade et ceux effectués par le consultant, l’Ambassade a saisi l’inspecteur du travail pour valider les calculs qu’ils ont effectués. À cet effet, l’inspecteur du travail, après avoir analysé l’ensemble des deux calculs, a clairement indiqué qu’il ne pouvait pas reconnaître les calculs faits par l’Ambassade car tous les droits n’y avaient pas été pris en compte, conformément aux dispositions du code du travail du Mali».
Pour conforter cette position, elle a rappelé que l’inspecteur du travail avait bien précisé «en tout état de cause, nous sommes dans l’impossibilité légale de valider les montants à nous communiqués tant que vous ne nous aurez pas fourni de plus amples détails sur les bases réelles de vos calculs. En attendant, et pour ne pas maintenir les travailleurs dans la précarité, vous pouvez, à terme échu, régler les montants calculés sous forme de paiement partiel. Les travailleurs se réserveront, subséquemment, le droit de mieux se pourvoir pour être intégralement mis dans leurs droits, pour d’éventuels différentiels entre vos calculs et leur réclamation».
La représentante du Collectif a rappelé au Directeur des Affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, que c’est suite à cette réponse de l’inspecteur, et après avoir payé une partie des droits au personnel, que l’Ambassade a payé un montant forfaitaire de 32 546 817 FCFA, au titre du rappel de la prime d’ancienneté, repartie de façon arbitraire et unilatérale, contre un montant total dû de 106 263 189 FCFA, soit un écart de moins perçu de 73 716 372 FCFA. Nous avons essayé d’avoir l’avis de
l’Ambassade du Canada, avant la publication de notre article. À cet effet, nous avons joint M. Christian Alix, Directeur adjoint de la Coopération au niveau de l’Ambassade, selon nos informations, référent de toutes les questions relatives à l’ex-UAP-CCM. Mais que ne fut notre surprise de nous entendre dire : «Je n’ai pas mandat d’échanger avec les journaux locaux sur ce dossier. Pour tous les renseignements, je vous demande d’écrire à Monsieur l’Ambassadeur, car c’est l’Ambassade qui gère le dossier».
Mais, que cache l’Ambassade du Canada dans ce dossier pour qu’un Directeur de la Coopération n’ait pas le droit de discuter avec des journalistes maliens ? Cela est d’autant surprenant que le Canada est connu comme un pays épris de justice et de respect des droits de l’homme. Comment comprendre que ce pays, champion du monde des droits de l’homme, à travers son Ambassade à Bamako, se permette de violer les droits de citoyens maliens qui lui ont rendu des services, pour certains au moins pendant 30 ans. Comment comprendre le mutisme de l’Ambassade du Canada lorsqu’elle a été saisie à deux reprises par l’Association malienne de défense des droits de l’homme ?
Si l’Ambassade du Canada est convaincue que les travailleurs de l’ex-UAP-CCM sont mal fondés en droit, pourquoi avoir payé la somme de 32 546 817 FCFA, que l’on pourrait assimiler à un début d’exécution ? Est-ce que les travailleurs ne sont pas victimes de la mauvaise foi de l’Ambassade du Canada ? Sinon comment comprendre que cette Ambassade qui représente l’une des nations les plus puissantes du monde soit dans l’impossibilité de payer à ses anciens travailleurs la somme de 73 716 372 FCFA au titre de leur prime d’ancienneté ? Nous sommes dans une situation de violation des droits de ces travailleurs.
Assane KONE
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