Le pardon du capitaine Amadou Haya Sanogo est diversement interprété. C’est le moins que l’on puisse dire. Et jamais dictons ne s’est aussi bien imposé : « Qui s’excuse, s’accuse ».
Il a fallu trois mois au capitaine putschiste pour changer littéralement de discours et de cap. La preuve par cet extrait de l’interview accordée au confrère allemand « Der Spiegel » au mois d’avril dernier :
Der Spiegel: Monsieur Sanogo, vous rappelez-vous d’avoir plongé votre pays dans le chaos avec le coup d’Etat que vous avez organisé il y a un an?
Amadou Haya Sanogo : Qu’est-ce que vous racontez ? J’ai sauvé le pays. Nous étions au bord de la ruine à l’époque.
(…) Comment votre coup d’Etat s’est-il produit ?
« Coup d’Etat» n’est pas le terme approprié. Je préfère dire que j’ai effectué une opération médicale nécessaire (…).
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A la lumière de ce rappel, l’on est enclin à se demander ce qui s’est véritablement passé à Kati et surtout dans la tête du capitaine, du mois d’avril à juin 2013.
Un pardon inspiré par les événements?
« Nul besoin de se rendre à l’abreuvoir pour savoir que les bovins n’ont guère besoin de gobelet pour boire». Selon toute évidence, le capitaine Sanogo aurait enfin compris qu’il n’a jamais sauvé le Mali contrairement à ses déclarations dans les colonnes de «Der Spiegel». Le sauveur du Mali reste Dieu. Il était donc prétentieux de soutenir le contraire. Bienvenue donc à la raison !
Les derniers événements survenus dans le monde, dans la sous région et au Mali en particulier ne sont certainement pas étranger aux remords de notre capitaine. Tenez : c’est le Sénégal que le président Américain a choisi pour sa tournée en Afrique de l’Ouest. L’on imagine aisément pourquoi il a évité le Mali. Aussi, c’est avec un club algérien de football, voire l’équipe nationale, que le Real de Madrid a décidé de jouer un match amical au cours de ce mois de juillet… C’est désormais à Ouaga (Burkina Faso) et à Dakar (Sénégal) que se tiennent désormais toutes les grandes rencontres internationales dans la sous-région. Visiblement, tous évitent le Mali comme la peste.
Et pourtant, il y a peu, Bamako était presque la capitale de cette partie du continent. C’est ici que se sont rendus Bono, le célèbre chanteur du groupe U2 et Casias, le gardien des buts du FC Barcelone. Et le footballeur Seydou-Blén était presque parvenu à convaincre son équipe, le Barca de livrer des matches amicaux avec nos clubs.
En somme, même si tout ne tournait pas rond, le pays jouissait encore d’un prestige certain. Et le coup d’Etat de mars 212 n’a permis, ni de le remettre sur les rails, ni d’empêcher l’avancée des jihadistes et rebelles. Il a d’ailleurs perdu son prestige.
Pire : au nom du capitaine Sanogo, de la junte et du 22 mars 2012, certains ont commis de nombreuses exactions, malversations et crimes contre le peuple malien.
Vu sous ce prisme, le capitaine ne pouvait trop longtemps se targuer d’avoir sauvé le pays. Son pardon se justifie donc. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, dit-on. Tout le monde n’est cependant pas de cet avis dans le cas de notre bon capitaine.
Une repentance tardive ?
Dans le camp des anti-putschistes, le FDR en l’occurrence, le pardon du capitaine n’est autre qu’un aveu de culpabilité. Qui s’excuse s’accuse, dit-on ! Il (le pardon) aurait dû venir au lendemain de ce qui n’était pas encore considéré comme un coup d’Etat, ce 22 mars 2012.
Aux premières heures du putsch, la classe politique, dans sa majorité, est restée mitigée et a même observé un temps d’hésitation. Mais la tournure que prendront les événements dans les jours qui suivront l’a incitée à sortir de ses réserves pour ensuite engager un bras de fer avec la junte. La chasse aux sorcières et les règlements de comptes qui s’en suivront seront finalement de nature à figer définitivement les tranchées.
« Tant mieux s’il décide aujourd’hui de se repentir, mais son pardon vient un peu tardivement », dit-on au FDR. Ici, l’on murmure que la présence des troupes étrangères, le déploiement, ce jour même, des casques bleus de la MINUSMA et avec, à la clef, des risques de poursuites de la CPI, ne sont pas étrangers à sa repentance.
Acte de trahison selon les pro-putschistes
De l’avis des associations et partis ayant soutenu le capitaine dans ses œuvres et manœuvres, son pardon n’est autre qu’un acte de trahison. Ces «victimes» se considèrent en effet et désormais comme les dindons d’une grande farce, des beignets puisque désormais cuits et recuits dans tous les deux sens. C’est, disent-ils, après avoir tout donné au capitaine y compris leurs âmes, que ce dernier se renie lui-même et les désapprouve du coup. En clair, il (le capitaine Sanogo) donne raison au FDR (le front anti-putschiste) et les fragilise dangereusement dans la perspective des prochains scrutins (présidentiels, législatifs et communaux).
Rappelons en effet que la COPAM et le MP22, majoritairement composés de partis politiques, ont fortement soutenu la junte avec l’organisation de manifestations de rue, souvent très violentes et ayant même conduit à l’agression du président par intérim.
Dans leurs rangs, le capitaine Sanogo était désormais une icône, le symbole du changement, d’un Mali nouveau. Des badges et médaillons portant son image fièrement agrafés sur les boubous et chemises nous rappellent encore sa place dans les cœurs et esprits de ces désormais ex-partisans. Bref, ils croyaient en l’homme.
Raison pour laquelle, son « pardon » sonne aujourd’hui pour eux comme le glas de désillusion. La trahison !
Mais bien entendu, l’on est toujours le traître de quelqu’un. Le capitaine Sanogo a pourtant été clair : « je n’ai associé personne au coup d’Etat… Je n’ai appelé personne » a-t-il dit en substance. Selon toute évidence, ceux-là qui se sentent aujourd’hui trahis se sont eux-mêmes invités à la table du putschiste.
Question de survie, tout court
La survie a toujours inspiré la démarche des putschistes, du 22 mars 2013 à nos jours. Et c’est encore cette tentative de survie qui a poussé le capitaine à revenir sur nombre de ses décisions : retour à l’ordre constitutionnel, signature de l’accord-cadre, mandat du président de la transition, dissolution du CNDRE, déploiement des troupes étrangères, etc. Toute autre réponse contraire aux demandes incessantes et persistances de la communauté internationale pouvait avoir de graves conséquences sur l’existence même des membres de cette junte.
En somme, c’est la tentative de survie qui a toujours incité Kati à ménager la chèvre et les choux. Tout lâcher d’un coup et disparaître de la scène pouvait leur être fatal. Se montrer inflexible aussi. Alors, il fallait jouer le jeu…, faire de la politique.
Le «pardon» d’aujourd’hui participe à cette politique de survie. Le facteur temps aidant et les maliens étant profondément sensibles à pareille démarche, sont susceptibles d’accueillir favorablement le repentir. Enfin, à quelques exceptions près.
En tout état de cause, l’on ne saurait gouverner impunément surtout pour un putschiste ne serait-ce que pendant quelques mois seulement. Mais un pardon, çà fait toujours du bien aux victimes et est susceptibles d’ouvrir les portes de la réconciliation et de l’apaisement, vertus dont le Mali a aujourd’hui tant besoin.
B.S. Diarra
SOURCE: Maliba Info du 3 juil 2013.