Honorable Alkaidi Mamoudou Toure, à l’issue des élections législatives après la présidentielle, vous êtes élu du peuple dans la circonscription de Diré. Vous êtes de l’URD, donc de l’opposition. Au bout de neuf mois de gouvernance d’IBK, comment se porte l’opposition à ce jour ?
Alkaidi Mamoudou Toure : L’opposition se sent très bien, parce que du début de la législature à ce jour, nous avons donné nos avis de la manière la plus claire sur toutes les questions qui intéressent la vie de la nation. Je crois que notre rôle d’opposant, c’est aussi de construire sur la base de la vérité et sans complaisance aucune. Et chaque fois qu’ils nous ont présenté des projets que nous estimons pouvant être utiles à la nation, nous les approuvons. Mais si nous voyons à nous présentés des projets n’allant pas dans l’intérêt supérieur de la nation, nous nous opposons et faisons ressortir des explications claires au peuple, même si nous sommes minoritaires, alors ne pouvant pas renverser la tendance.
Dans la même opposition dont fait partie votre parti, l’Urd, êtes-vous soudés ?
Nous sommes très bien soudés. C’est pour cela que notre groupe s’appelle VRD [vigilance républicaine et démocratique] et non l’URD. Nous sommes avec le PARENA et le PRVM. Nous nous consultons et sommes respectueux des clauses communes.
Comptez-vous agrandir vos rangs prochainement ?
En démocratie, c’est bien possible que des élus de la majorité rejoignent l’opposition dans le but de construire mais pas de détruire.
L’exécutif vous a promis un statut de l’opposition, où en est-on ?
À ce niveau, la majorité traîne, sinon je ne vois pas ce qu’elle attend jusque-là pour nous amener à adopter ce statut nous permettant de jouer pleinement notre rôle. Le problème en est aussi et surtout qu’aujourd’hui, dans notre République démocratique, l’opposition est perçue comme ennemie, alors que s’il y a démocratie, c’est qu’il faut une majorité d’un côté et une opposition de l’autre qui critique sur du mauvais et propose ses avis.
Lors de l’adoption de la politique générale, votre groupe a voté «non» pour deux raisons majeures : Le Premier ministre qui a déclaré ladite politique est à la tête d’un gouvernement qu’il ne contrôle pas, et puis, sa politique ne répond pas aux attentes des Maliens. Quel
commentaire faites-vous à propos?
C’est notre ligne adoptée. C’est dire que notre président de groupe, qui est l’honorable Mody Ndiaye, parle en notre nom. J’adhère parfaitement à ses arguments.
À l’instar de Tiébilé Dramé qui a fait tout un mémorandum sur l’achat du nouvel avion présidentiel, votre homologue député Diaby Gassama a poussé le Premier ministre à y apporter des éléments sur les conditions de l’achat dudit appareil. Alors étiez-vous satisfait des arguments du Premier ministre ?
Non ! Car je ne peux pas comprendre que dans un Etat sérieux, on puisse attendre qu’en plus des journaux et des radios, des élus nous interpellent jusqu’à l’hémicycle, pour informer l’opinion nationale de ce qui la concerne. En clair, c’est de l’eau versée, car ce gouvernement aurait pu informer l’opinion nationale et internationale sur la nécessité et les conditions d’achat de cet avion avant l’Assemblée nationale qui, elle, n’est au courant d’aucune loi des finances de l’année en cours, prévoyant une telle dépense.
Après sa présentation de politique générale, le Premier ministre Moussa Mara décide d’aller à Kidal qui est une ville malienne afin de constater si l’administration fonctionne. Au bout du compte, les conséquences été bouleversantes et ni lui ni son président ne souhaite s’assumer, porter le chapeau de l’humiliation. Qu’en pensez-vous ?
Ecoutez, quand le Premier ministre nous le disait lors de sa présentation de politique générale, il a évoqué sa décision d’aller à Kidal. Nous lui avions demandé à quand était prévu son départ, mais il nous avait fait savoir sa ferme décision de responsable qui y sera par ce que Kidal c’est le Mali. Alors que nous savions que Kidal avait un statut spécifique, sinon Serval n’allait pas abandonner le PM et sa délégation à Gao. Son prédécesseur Tatam Ly a, lui, prouvé qu’il est intellectuel en rebroussant chemin. Cependant, si suite au départ de Mara il y a eu des morts et des échecs, il est le seul à porter le chapeau en tant que Premier ministre dont les autres membres du gouvernement ne sont que subordonnés. Que Moussa Mara s’assume en responsable et démissionne, ce n’est quand même pas difficile à comprendre !
Y a-t-il, selon vous, une solution pour que Kidal revienne dans le giron du grand Mali ?
Vous savez, tout ce temps, on nous cache des choses sur Kidal. On a droit de comprendre ce qui se passe pour qu’un président de la sous-région puisse aller sans problème, alors que notre président ne peut le faire. Pourquoi, je me demande ce qu’on nous cache.
Si on suivait les accords de Ouagadougou ayant favorisé la tenue des élections sur toute l’étendue du territoire national, 60 jours après la formation du premier gouvernement, on serait allé au dialogue inclusif avec les groupes armés. Ce qui ne s’est pas passé jusqu’à ce jour. Qu’en pensez-vous ?
Tel que l’a dit mon président Soumaïla Cissé, il allait partir au dialogue dans le délai imparti même si c’est pour voir les intentions des uns et des autres. Mais, aussi, si vous regardez bien, les accords de Ouaga sont en certains points contradictoires. Suivez mon regard : «l’accord dit que l’intégrité du territoire et l’unité nationale du Mali sont non négociables, alors que le même accord prévoit qu’on négocie. Alors sur quoi négocier ?». Cet accord a été obtenu à l’arrachée, sinon comment comprendre qu’on laisse des bandits emprisonner des loyalistes sur un territoire dont on est intransigeant sur son intégrité territoriale ?
Alors trouvez-vous la force comme moyen de récupérer la région de Kidal ?
Non ! Je pense qu’à force de faire la guerre on finit par négocier pour qu’un vivre-ensemble s’impose. Et comme l’accord de Ouaga est le seul élément à suivre, il faut le suivre et veiller à ce qu’il ne nous fasse pas perdre les points non négociables cités dans le même accord.
Et si à la table des négociations les groupes armés proposaient la réinsertion de leurs combattants au sein des forces de défense et de sécurité ?
Sachez qu’on ne doit pas encore refaire les mêmes erreurs. On a vu dans notre armée, par injustice, des colonels réinsérés au nom de la paix, qui ne savent même pas ce que signifie leur grade. Alors, il est prouvé qu’on ne peut réparer l’injustice par l’injustice encore pendant que des hommes capables pavanent avec leurs diplômes sans obtenir quelque chose à exercer. C’est de l’injustice.
Si vous êtes appelé à négocier, à votre place, que proposeriez-vous pour préserver l’unicité du Mali ?
Ce qui est faisable et rien de plus ! Alors, la communauté internationale qui nous jette aujourd’hui dans la gueule du lion a un calendrier. Y a-t-il eu d’accord secret signé ? C’est de cette vérité dont il faut parler. Je pense.
Mais récemment, suite aux événements malheureux de Kidal, revenait souvent la question : «qui a donné l’ordre à l’armée d’attaquer les positions rebelles ?»
Je demande alors qui a donné l’ordre d’arrêter les combats. Qui a demandé le cessez-le-feu ? Vous verrez de vous-même celui qui a donné l’ordre. Oh, mais c’est grave tant que l’Etat ne sait pas où va l’armée, car on se demande où est la sécurité.
L’alors ministre de la Défense Soumeylou démissionne, selon certains, pour sauver l’armée des sanctions. Comment interprétez-vous son acte ?
Qu’il soit forcé ou volontaire, c’est un acte de courage ! Car un responsable, si vous réalisez avoir failli ou que des hommes sous vos ordres ont failli, vous devez tout simplement vous assumer et démissionner.
Soumeylou qui est un chef de parti avec des élus à l’Assemblée demande qu’il soit ouvert une enquête parlementaire. Croyez-vous que ça puisse réussir à situer les responsabilités ?
Avant même le ministre démissionnaire, nous avons adopté une résolution sur la situation réclamant la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire. Quinze députés membres ont été choisis, à raison de 7 pour le parti majoritaire, 2 pour VRD ; 3 pour APM, 2 pour l’ADEMA et 1 pour FARE-SADI. Et selon le règlement intérieur de l’Assemblée, pour toutes les enquêtes de la commission, l’opposition a droit soit à la présidence de la commission ou le poste de rapporteur. Donc, il y a des chances que l’enquête aboutisse si la commission travaille normalement.
Le président de la République après avoir boudé l’opposition a fini par vous recevoir quand il s’est embourbé. Ce n’est pas tard ?
Tard vaut mieux que jamais ! Il s’agit du Mali en dysfonctionnement et il faut que la majorité arrête de prendre l’opposition comme ennemie. Le président a bien fait, et nous pouvons laver le linge sale en famille.
Un autre point. Honorable, vous êtes membre de la Haute Cour de Justice, et le président pour uniformiser la Constitution, a décidé qu’elle soit mise en place. Alors, où en sommes-nous du démarrage de ses travaux ?
La Haute Cour de Justice ? Je l’aurais même appelée basse cour de Justice car nous avons prêté serment et c’est conformément aux stipulations de la Constitution malienne. Contrairement à ceux qui croient qu’elle était juste mise en place pour juger l’ancien président ATT. C’est faux ! Elle est la sixième institution du pays. Et pour que nous commencions notre travail, nous demandons à ce qu’on nous mette dans nos locaux, nos bureaux. Il y a plein de dossiers de ministres compromis aux mains du pôle économique, qui ne sont pas celui de l’ancien président ATT. Qu’attend-on pour juger ces dossiers-là ? C’est aussi un garde-fou pour le gouvernement en cas de mal gouvernance.
Le 29 mai dernier, le président de l’Assemblée licencie le petit personnel de l’Assemblée pour recruter des jeunes de la majorité. Quelle appréciation en faites-vous ?
Je suis désolé que le recrutement soit politisé dans un Etat de droit et d’égalité.
Un mot à l’endroit du peuple malien.
Je vous remercie sincèrement de m’avoir offert cette occasion de m’exprimer. Alors, je le dis, il est facile de dire «je peux». Cependant rien ne change. Alors, il faut que l’on se ressaisisse avant que ça ne soit trop tard afin de sortir du trou. En somme, ce dont le pays a besoin, c’est de tirer les leçons du passé et que nous allions vers l’union sacrée des Maliens et des Maliennes.
Issiaka M. TAMBOURA
Source: Le Reporter 2014-06-11 01:33:30