Mopti: le développement à la base, malgré tout
Lundi 24 décembre 2012. Il est environ 8 heures. Dans la cour de l’antenne régionale de Mopti, nous rencontrons le Président du Conseil de cercle de Koro, Oumar Din. Il a quitté sa localité, tôt dans la matinée, pour venir signer la convention de l’avenant de la construction du CSRéf de Koro avec l’ANICT, qu’il va, sous peu, réceptionner. Un financement des Pays-Bas. Oumar Din tient à «saluer le courage des cadres de l’antenne régionale de l’ANICT, qui se rendent souvent dans des zones à risques, à moto où à pied pour éviter d’être repérés par les Islamistes».
Koro, pour ceux qui ne le savent pas, se trouve au nord-est de la ville de Mopti et fait frontière, d’un côté, avec Douentza et, de l’autre, avec le Burkina Faso. C’est donc un chef-lieu de cercle qui vit en permanence sous la menace d’attaques des islamistes du MUJAO. (Boni, l’un des check-points du MUJAO, aux portes du Burkina Faso, se trouve à moins de 100 km).
Après notre brève rencontre, nous décidons de nous rendre sur le terrain. Direction: Sampara, commune de Bassiro, 22 kilomètres en direction de la zone sous contrôle du MUJAO.
Ici, les populations se réjouissent surtout de l’aménagement fait grâce aux fonds ANICT et qui permet aux 6 villages, depuis 2011, d’avoir assez de poissons. A consommer et à vendre. Mais l’épée de Damoclès que constitue la menace islamiste hante toujours les villageois.
C’est le Chef du village, Koundia Coulibaly, qui témoigne. Nous le retrouvons, en compagnie d’une amie, au détour d’une ruelle. Le plus que septuagénaire tient toujours bien sur ses deux jambes et nous invite à «avoir une conversation debout». A l’aide d’un bâton, il trace des figures sur le sol et se confie: «tout ce que l’ANICT a entrepris comme travail dans notre village est salutaire. Je voudrai tout juste citer l’aménagement qui nous permet, chaque année, de pêcher assez de poissons. Nous invitons tous les villages qui composent la commune et nous partageons la manne. Cependant, nous vivons permanemment dans la peur. Nous ne pouvons pas travailler correctement, car les rumeurs d’attaques des rebelles sont de plus en plus grandes. Je sais aussi que beaucoup de projets, qui nous étaient destinés, sont désormais à l’eau, à cause de la crise que notre pays traverse en ce moment. Nous demandons aux bailleurs de fonds de comprendre que ce sont les populations qui souffrent le plus dans ce genre de conflits. Nous étions pauvres, auparavant. Avec la situation actuelle, notre état de pauvreté va crescendo. Il faut que les partenaires reviennent. Sinon, c’est la catastrophe».
En quittant cette bourgade, nous rencontrons Hamakaï Koumana, un producteur de céréales. Il nous montre du doigt la plaine qui, depuis 1973, n’a plus reçu une goutte d’eau. Avec un sourire qui couvre son visage marqué par le soleil, il nous explique que «c’est grâce à l’ANICT que la mise en eau a été faite». Hamakaï Koumana d’ajouter «les collectivités ont toujours su gérer les fonds qui leur étaient destinés».
Dans l’après-midi, nous mettons le cap vers le sud pour atteindre Sofouroulaye. Un autre village d’environ 1 600 âmes. Il se trouve dans la commune de Sio (20 villages, plus de 28 400 habitants). Ici, on pratique l’agriculture, l’élevage et la pêche. Depuis l’éclatement de la crise au Nord du Mali, plusieurs militaires de la région de Gao y ont établi leur quartier général. Mais cette présence ne semble déranger aucun autochtone. La seule préoccupation est le développement. C’est le cas de Garba Soungoro, un commerçant qui vend de petits articles. Assis sous un hangar, il regarde avec inquiétude un bus qui traverse le village à vive allure. «La présence des militaires ne nous dérange pas. Nous attendons avec impatience que nos hangars soient fonctionnels. Aujourd’hui, c’était le jour du marché. Mais l’affluence n’était pas au rendez-vous, car les gens ont peur de se faire renverser par des chauffeurs indélicats. Nous avons souvent des accidents au bord de cette route. Le marché pourra se tenir un peu plus à l’intérieur, où se trouvent les hangars. Cela nous évitera beaucoup de dommages» affirme-t-il.
Lors de notre entretien, Fatoumata Diakité, une vendeuse de condiments, nous rejoint. A son tour, elle nous demande d’être le porte-parole des femmes auprès des bailleurs de fonds: «avec l’appui de l’ANICT et le travail remarquable que leur antenne effectuait ici, nous avions espoir. Mais, depuis la crise, nous avons l’impression d’être abandonnées à notre sort. Je leur demande de revenir pour soigner nos maux. Les équipements marchands, pour nous les femmes, sont cruciaux. Non seulement nous vendons pour gagner de quoi subvenir aux besoins de la famille, mais nous achetons aussi les condiments qui servent à préparer les mets pour nos maris», laisse-t-elle entendre.
Le Secrétaire général de la mairie de Soufroulaye, Tassiré Sawadogo, qui nous avait reçus un peu plus tôt, y travaille depuis 1999. Et la collaboration avec l’ANICT a commencé avec lui: les bureaux de la mairie et bien d’autres bâtiments administratifs, les salles de classe, les centres de santé, les magasins de stockage de denrées alimentaires, les équipements marchands… De Somadougou à Soma, en passant par Soremala, Kouma, Koloni et Sirakoro, l’Agence Nationale d’Investissement des Collectivités Territoriales a, selon le Secrétaire général, «contribué considérablement à développer les populations à la base».
Issa Kanté: Chef antenne régional ANICT Mopti
«Nous travaillons dans un contexte de crise multidimensionnelle. En janvier 2012, lorsque la crise a éclaté, l’ANICT avait déjà lancé le financement de 262 projets dans la région de Mopti, pour un montant de 591 milliards de FCFA. Sur ces 262 projets, 123 avaient reçu leurs avances de démarrage. Je rappelle que ces fonds proviennent de partenaires comme la KFW, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’UE… Après le 22 mars, certains fonds on été gelés, ce qui n’a pas permis à l’ANICT de financer à hauteur de souhait les 262 projets. Même parmi les 123 projets, certains ont été stoppés car d’autres tranches ne pouvaient plus êtres payées, les fonds étant gelés. Notons que des projets FODESA (FIDA), Banque mondiale, PACR continuent ou ont été menés à terme. Malgré la crise, l’antenne de Mopti a continué à travailler. C’est vrai que certains déplacements deviennent difficiles, mais nous tenons à faire les visites de tous nos chantiers, soit en pinasse soit à moto, surtout là où nos véhicules ne peuvent pas aller. Nous sommes allés vers Youwarou ou Téninkou à moto et dans des pinasses. Vers Koro, nous visitons une partie en voiture et une autre à moto. Nous tenons au développement des populations, quelles que soient nos conditions de travail. Je voudrais terminer en demandant aux partenaires de voir les efforts que nous fournissons et surtout la souffrance des populations qui ne comprennent pas le gel des financements. Lorsque les collectivités ne reçoivent plus de financement, le développement à la base est grippé. Les autorités, les collectivités et surtout les bailleurs de fonds, chacun à son niveau, doivent percevoir les craintes des populations, qui souffrent à cause du blocage».
Témoignage – Oumar Din, Président du Conseil de Cercle de Koro: «Les difficultés que nous ressentons actuellement sont consécutives à la crise que connaît le Nord du Mali. Vous savez que nous sommes voisins de Douentza. Dans cette zone, ce sont les Islamistes du MUJAO qui règnent en maîtres. Rien ne marche. Il y a une paralysie totale du cercle. Les collectivités ne fonctionnent plus, car la mobilisation des ressources ne se fait pas normalement. A Koro, nous avons quand même un motif de joie, car nous allons inaugurer sous peu notre CSRéf, financé par le Pays-Bas à travers l’ANICT. C’est une véritable lumière pour nos populations, car remettre à neuf une telle infrastructure, par les temps qui courent, est un grand défi. Il faut savoir que nous avons des communes dans lesquelles aucun centre de santé ne fonctionne. Je voudrais surtout mettre un point d’honneur sur les réalisations des bailleurs de fonds, à travers l’ANICT, dans mon cercle, telles que les kits scolaires, la construction de mairies… Pour terminer, je voudrais exhorter les autorités à mettre un accent particulier sur la décentralisation ».
Ségou: la rigueur contre l’approximation des collectivités
Avec sa silhouette longiligne et son grand sens de l’humour, Mohamed El Moctar, le Chef d’antenne régionale de Ségou, passerait presque pour un enfant de chœur. C’est mal le connaître, car c’est en réalité un homme à poigne. Depuis son arrivée dans la capitale des Balanzans, il a juré de «lutter contre les mauvaises pratiques et d’acculer les collectivités dans leurs derniers retranchements afin que les différents chantiers arrivent à terme, dans les délais requis et dans les règles de l’art».
C’est à Markala, 35 km de Ségou, que nous rendrons compte que la fermeté de Mohamed El Moctar n’est pas feinte. Nous sommes tout d’abord reçu par le 1er Adjoint au maire de la Cité ouvrière, Ousmane Traoré. Il vante «les mérites des actes posés par l’ANICT», car, depuis 13 ans, il fait partie de l’équipe de la mairie. «J’ai vu l’ANICT œuvrer dans tous les domaines, la construction de salles de classe, l’assainissement, la sécurité alimentaire, la prise en charge des aspects genre et des préoccupations de la jeunesse». Au cours des échanges, le 1er Adjoint au maire évoque le Projet d’aménagement de l’espace culturel des masques et marionnettes, à l’arrêt depuis un bon moment. Dans ce dossier, la mairie de Markala est le maître d’ouvrage. Comme maître d’ouvrage délégué, on retrouve CA AEC-Vie (une organisation socioprofessionnelle). Le maître d’œuvre (bailleur de fonds) est Lux-Développement et le maître d’œuvre délégué, lui, est l’ONG APSRU. Très tôt nous comprenons que les fonds ont été mal gérés. Sur le chantier, où nous nous rendons quelques minutes plus tard, en compagnie du 2ème adjoint au maire, Mme Bintou Diarra, c’est l’abandon total. Aucun signe de travaux en cours. Le portail est fermé et nous sommes obligés de faire recours à un jeune passant pour pénétrer sur les lieux. Avec amertume, le 2ème adjoint au maire reconnaît «qu’il y a eu une mauvaise gestion de fonds et surtout de l’amateurisme».
En effet, selon nos informations, l’ONG APSRU (un groupement de femmes de Markala) aurait, lors du dépouillement du marché, insisté pour qu’on prenne «le moins disant», comme les textes le stipulent. Or, il s’est avéré que ce «moins disant» n’avait pas les compétences pour effectuer les travaux. «Ajoutez à cela la gestion opaque de l’argent transféré par l’ANICT à la CA AEC-Vie, la panne était prévisible», nous a affirmé un technicien de l’ANICT.
Quelques centaines de mètres plus loin, c’est le Centre de santé de référence (CSRéf) de Markala. La structure devrait, depuis plusieurs mois, accueillir, entre autres, un nouveau bloc opératoire, un cabinet dentaire et une nouvelle maternité. Des travaux de rénovation dans le laboratoire, à la radiologie, à la chirurgie et au bureau des entrées auraient aussi déjà prendre fin. Coût des différents investissements: 600 millions de FCFA.
Mais, les travaux ont pris un retard considérable. Et, le jeudi 27 décembre 2012, lors de notre passage, aucun cadre de l’entreprise n’était sur place. Un membre du Bureau de contrôle, que nous avons trouvé sur le chantier, nous a affirmé, avec dépit, que «les travaux traînent» et qu’il en «avait marre». «Plusieurs fois j’ai fait savoir à l’entreprise qu’elle travaillait trop lentement et qu’elle devait respecter les délais. Mais j’ai l’impression qu’elle n’en fait qu’à sa tête». Nous quittons les lieux sur ce constat amer et nous rendons à Bêlakin pour visiter un autre investissement de l’ANICT. Le caniveau, qui a été construit sur une centaine de mètres, laisse à désirer. Dans sa conception, il devait permettre d’écouler l’eau de pluie qui stagnait devant les nombreuses concessions, qui jouxtent une plaine. Mais, à la fin des travaux, le diagnostic des techniciens de l’ANICT est sans appel: le caniveau a été mal conçu et compte de nombreuses malfaçons.
Il faut souligner que, dans les cas de figure comme celui-ci, l’ANICT n’exécute pas les travaux directement sur le terrain. C’est la mairie qui est le maître d’ouvrage et c’est elle qui établi un rapport pour certifier que les travaux ont été bien exécutés.
Péléngana et Ségou ville: l’exemple à suivre
Quelques heures et quelques kilomètres plus tard, nous nous retrouvons à Péléngana, commune rurale de 27 villages. L’Ecole Fa Kéïta (extension) que nous visitons compte une trentaine de salles de classes. Bien construites et bien entretues. Elles sont issues du financement USAID, à travers l’ANICT, qui a préfinancé et qui a été impliquée dans le travail technique. Youssouf Diarra, le Secrétaire général de la mairie, qui nous reçoit malgré son congé, affirme que «ces classes ont permis de décongestionner l’école principale, dans laquelle on pouvait compter plus de 100 élèves par classe». M. Diarra ajoute «les objectifs de la mairie ont été atteints en ce qui concerne l’éducation dans cette partie de la commune».
Ségou-Coura, autre zone excentrée de la ville de Ségou, est très convoitée pour son Lycée Technique. Les Ségoviens appellent cette infrastructure «le beau lycée». Construit à hauteur de 227 105 000 FCFA, sur financement KFW (Allemagne), on y trouve un bloc administratif, trois blocs de classes (10è, 11è et 12è), une infirmerie, un laboratoire, une salle informatique. Pour le Proviseur Yacouba Diabaté, «le Lycée est une aubaine pour la région et surtout pour le Mali, car, auparavant, il fallait se rendre à Bamako pour y accéder».
Ségou, quartier administratif, dernière étape de notre visite. Devant nous, un imposant bâtiment se dresse. Il est tout neuf et pas encore occupé. C’est le nouveau siège de l’Assemblée régionale. Bâti sur une superficie de 14 167,22 m², l’édifice comprend une vingtaine de bureaux, des salles de réunion, des infrastructures extérieures, un grand groupe électrogène… Coût de l’investissement: 236 085 668 FCFA. S’y ajoutent l’équipement (41 009 768 FCFA) et la clôture (31 491 000 FCFA). Ce financement, il faut le noter, entre dans le cadre de la coopération du Mali avec le Luxembourg.
En quittant Ségou, le Chef d’antenne régional a promis se rendre sur le terrain pour, une fois de plus, inciter les entreprises à terminer les travaux en cours. Il a aussi promis de faire la lumière sur l’arrêt des travaux à Markala.
Mohamed El Moctar: Chef d’antenne régionale ANICT Ségou
«Dans la région de Ségou, c’est le cercle de Niono, plus précisément la commune de Nampala, qui est sans autorité étatique. Cette zone est énormément confrontée à des difficultés. Tout ce qu’il y a eu comme investissement a été saccagé avec les premières attaques. Aujourd’hui, même s’il y a un financement pour la région, cette collectivité n’en bénéficiera pas. Généralement, nos agents vont jusqu’à Diabaly. Au-delà, nous ne pouvons pas nous aventurer. Sinon, les cadres qui m’entourent sont très opérationnels et constatent beaucoup de choses. C’est dans ce cadre qu’on a constaté des retards sur certains chantiers, dus tout d’abord à la crise que nous traversons actuellement, aux financements qui ont été arrêtés, à part celui de Lux-développement, au non suivi des chantiers par les bénéficiaires… Mais je crois que dans toutes choses, surtout quand les chantiers ont du retard, il faut communiquer. Il faut amener les acteurs sur le terrain à comprendre que ces réalisations leur reviennent. Il faut leur faire savoir que le premier surveillant d’un chantier est le maire lui-même. Si l’ordonnateur des travaux est rigoureux, cela va amener l’exécuteur à être, lui-aussi, rigoureux. Nous avons aussi d’autres moyens pour exercer la pression sur certaines collectivités qui gèrent mal.
Je s aussi souligner que, pour les projets qui ont bien marché, un mécanisme a été expérimenté en 2010, dans lequel la maîtrise d’ouvrage est toujours assurée par les collectivités et le suivi par l’ANICT. C’est un bon système, qui a inspiré plusieurs partenaires. C’est fort de tout ce que nos partenaires nous ont apporté que je demande aux bailleurs de revenir, car c’est aujourd’hui qu’on a le plus besoin d’aide».
Paul Mben
Le 22 Septembre 2013-01-03 02:51:19