A l’heure où les finances publiques africaines sont au plus bas face à des besoins financiers évolutifs de relance post Covid-19, sans compter par ailleurs le relâchement des bailleurs étrangers traditionnels, l’argent de la diaspora peut-il constituer une partie de la solution ?
C’est le paradoxe africain…il pleut des dizaines de milliards par an sur l’Afrique, transférés par ses diasporas mais à peine 5% de cette manne sert à financer directement des projets ou indirectement via de l’épargne constituée. En cause, le manque d’ambition et de vision des pouvoir publics de bon nombre de pays en matière de mobilisation des ressources de la diaspora. Car attention aux apparences, l’exclusivité donnée aux transferts financiers résulte davantage d’un modèle de compromis minimaliste et implicite qui peut se résumer ainsi : « Envoyez de l’argent à vos familles mais restez là où vous êtes ! ». Les diasporas étant encore stigmatisées comme des communautés à l’esprit trop libre et influentes auprès de leurs familles, présentant par conséquent un risque politique pour certains régimes autoritaires…et à la clé un manque d’intégration économique, financier et humain.
Et ce prisme dans l’appréhension de l’épargne des migrants, évaluée par la Banque mondiale à plus de 60 milliards d’euros, est assez symptomatique des manques actuels des stratégies publiques africaines passant à côté de gisements entiers de la diaspora : IDE, compétences, softpower, export… Pourtant les avantages comparatifs existent : prenons l’épargne où les taux bas de rémunération en vigueur dans certains pays importants pour les diasporas africaines (France, Italie, Espagne, Allemagne…), offrent des possibilités certaines d’attirer des capitaux vers le pays d’origine, à même de financer structurellement l’économie et participer à la stabilisation des comptes publics et de la monnaie nationale.
Depuis quelques années, les efforts publics de mobilisation de l’épargne se sont concentrés sur l’abaissement des coûts élevés des transferts financiers qui amputent l’impact de ces capitaux sur le développement des pays d’origine en même temps qu’ils « dopent » le marché informel. Cette tendance baissière s’étant imposée au fil du temps comme un enjeu politique et un levier majeur du développement. En ce sens, il existe aujourd’hui un consensus mondial pour une meilleure information des diasporas et l’intensification de la concurrence : Postes, banques centrales, acteurs de la « Fintech » (transferts d’argent via mobile, crowfunding…)…
Autre voie suivie avec plus ou moins de réussite par l’Egypte, Maroc, Nigéria, Cap vert et bien d’autres pays confrontés à des déficits publics structurels et/ou la dévaluation de leur monnaie, la « bibancarisation » ou la double bancarisation des migrants dans le pays d’origine et d’accueil. Ressorti des tiroirs à la faveur du « brainstorming » post COVID, ce concept théorique introduit par la BAD et la Banque Mondiale se heurte sur le terrain à une muraille d’obstacles opérationnels liés principalement à l’incurie des écosystèmes en place : méconnaissance des moyens financiers réels des migrants, niveau de confiance placé dans les pouvoirs publics et systèmes financiers des pays d’origine et systèmes, inadéquation des standards techniques et des offres existantes avec les besoins et profils de la diaspora, insuffisance de la presse financière et des tiers de confiance (analystes…)
Mais dans cette relation structurante avec la diaspora, les banques africaines sont à l’heure d’aujourd’hui des maillons stratégiques au modèle bien démuni ! Concurrencées dangereusement par les nouveaux entrants de la fintech sur leur activité historique du transfert d’argent, elles subissent par ailleurs des taux d’intérêt élevés qui les empêchent de prêter à la diaspora. Or il se trouve que le transfert d’argent et le crédit immobilier sont les deux produits stratégiques de conquête de nouveaux clients sur ce segment…
En substance et pour espérer drainer l’épargne de la diaspora, l’Afrique doit commencer par déconstruire le modèle unidimensionnel du migrant captif qui n’existe que par ses transferts financiers, pour s’ouvrir à un écosystème faisant se rencontrer les contributions multidimensionnelles de la diaspora.
En un mot, se disrupter et engager des réformes structurantes…ou continuer à concéder ce pactole aux pays d’accueil !
Par Samir bouzidi, Ethnomarketer spécialiste des diasporas africaines – CEO Impact Diaspora.