Le portrait d’Ahmed Kathrada, vétéran de la lutte anti-apartheid, accroché sur un mur de la Fondation Nelson Mandela, lors d’un service funéraire, le 28 mars 2017 à Johannesbourg / © AFP / GULSHAN KHAN
L’Afrique du Sud a rendu mardi un hommage ému et unanime à Ahmed Kathrada, une des dernières figures historiques de la lutte contre l’apartheid et compagnon de cellule de Nelson Mandela dans la prison de Robben Island, décédé à l’âge de 87 ans.
Ancien député et conseiller du président Mandela pendant son seul mandat à la tête de l’Afrique du Sud (1994-1999), ce fils d’immigrés indiens faisait partie du premier cercle des dirigeants historiques du Congrès national africain (ANC).
Surnommé « Oncle Kathy », il s’était notamment illustré à la fin des années 1980 lors des négociations entre l’ANC et le régime blanc qui ont abouti au début des années 1990 à la chute de l’apartheid et aux premières élections libres du pays en 1994.
Hospitalisé au début du mois pour une opération au cerveau, l’état de santé d’Ahmed Kathrada s’était dégradé ces derniers jours.
La Fondation Ahmed Kathrada a annoncé dans un communiqué qu’il s’était éteint « en paix » mardi matin à l’hôpital Donald Gordon de Johannesburg.
Une des dernières figures encore vivantes de la lutte contre l’apartheid, l’ex-archevêque Desmond Tutu, 85 ans, a salué la mémoire « d’un homme d’une gentillesse, d’une modestie et d’une ténacité remarquables », conscience morale du mouvement.
« Il faisait partie de ces gens de la plus haute intégrité et moralité qui, par leur humilité et leur humanité, ont inspiré notre dignité, et la confiance du monde », a rappelé dans un communiqué le prix Nobel de la Paix.
Le vétéran de la lutte anti-apartheid Ahmed Kathrada pose à côté d’une photo de lui avec Nelson Mandela, le 16 juillet 2012 chez lui à Johannesburg, en Afrique du Sud / © AFP/Archives / STEPHANE DE SAKUTIN
Un homme bon
« C’était vraiment un homme bon, qui aimait l’Afrique du Sud et tout son peuple », a salué l’ancien président blanc Frederik De Klerk, « puisse-t-il servir d’exemple à tous les Sud-Africains ».
« Une personne courageuse, pleine de compassion et résolue », a renchéri l’un des autres négociateurs de la chute de l’apartheid, l’actuel vice-président Cyril Ramaphosa, « il nous rappelle notre devoir solennel de suivre son exemple et de finir son travail ».
Un hommage officiel lui sera rendu et les drapeaux du pays ont été mis en berne, a annoncé la présidence.
« C’était un révolutionnaire déterminé qui a voué sa vie entière au combat pour la liberté dans notre pays », a réagi un autre de ses compagnons d’armes, Derek Hanekom.
« Il était mon autre père, toujours gentil et ouvert », a confié, très émue, l’une des filles de Nelson Mandela, Zinani, lors d’un hommage public à la fondation Nelson Mandela.
L’avocat George Bizos assiste à un hommage public à la mémoire d’Ahmed Kathrada, décédé à l’âge de 87 ans, le 28 mars 2017 à la Fondation Nelson Mandela à Johannesburg / © AFP / GULSHAN KHAN
Né en 1929 dans une petite ville de ce qui était alors la province du Transvaal occidental, dans une famille d’immigrés indiens de confession musulmane, il avait quitté l’école à 17 ans pour participer à la lutte contre les lois sur l’habitat séparé.
Ahmed Kathrada avait été arrêté en 1963 avec Nelson Mandela, Walter Sisulu et une partie de l’état-major de l’ANC dans leur QG clandestin de Johannesburg.
Condamné l’année suivante à la réclusion criminelle à perpétuité pour sabotage lors du fameux procès de Rivonia, il a alors rejoint le pénitencier de Robben Island, au large du Cap. Il n’est sorti de prison que vingt-six ans plus tard.
– Critique de Zuma –
Son avocat de l’époque, George Bizos, s’est souvenu de lui mardi comme « le détenu le plus intelligent auquel le régime (de l’apartheid) a jamais été confronté ».
Depuis sa retraite politique en 1999, Ahmed Kathrada dirigeait la fondation qui porte son nom pour lutter contre les inégalités.
Photo de la Fondation Mandela prise le 11 octobre 2010 montrant l’ancien président sud-africain Nelson Mandela (c) entouré par sa fille Zindzi (d) et son ancien compagnon de cellule Ahmed Kathrada (d) à Johannesburg / © Fondation Mandela/AFP/Archives / Debbie YAZBEK
Il était exceptionnellement sorti de sa réserve politique l’an dernier pour déplorer le chemin pris par l’ANC sous le règne de l’actuel président Jacob Zuma, mis en cause dans une série de scandales de corruption, et pour réclamer sa démission.
« Cher camarade président, ne pensez-vous pas que rester président ne va que contribuer à aggraver la crise de confiance dans le gouvernement du pays ? », avait-il écrit dans une lettre ouverte.
La mort d’Ahmed Kathrada a suscité l’hommage unanime de la classe politique sud-africaine.
Malgré sa récente sortie contre M. Zuma, l’ANC, au pouvoir depuis 1994, a déploré la disparition d’un « chef dont le service à son pays restera gravé à tout jamais » et souligné qu’il n’avait « jamais abandonné ou tourné le dos à l’ANC ».
« Oncle Kathy (…) incarnait un sens profond de la compassion et un engagement déterminé en faveur de la vraie justice », a renchéri Mmusi Maimane, le chef du principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique (DA).
Ahmed Kathrada sera enterré mercredi, selon sa fondation.
(©AFP / 28 mars 2017 13h01)