C’est un rapport de la Cnuced qui bat en brèche un certain nombre d’idées reçues sur les migrations. Et pointe le rôle économique positif des migrations intra-africaines.
Les images des 629 migrants secourus au large de la Libye par le navire humanitaire l’Aquarius et qui vont finalement pouvoir rejoindre l’Espagne à l’aide de deux bateaux italiens tournent en boucle depuis plusieurs jours. Au-delà du problème de droit qui se pose actuellement à l’Europe, depuis plusieurs années, ces images ont fini par imprimer dans les esprits l’idée que les migrants échouaient tous finalement en Méditerranée. Et si on se trompait ? Le dernier rapport de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) veut battre en brèche les idées reçues sur ce sujet. Car « une bonne partie du discours public, particulièrement en ce qui concerne les migrations internationales africaines, est pleine d’idées fausses qui alimentent une représentation conflictuelle, trompeuse et nuisible de la réalité » affirment les auteurs.
Ces derniers mettent en exergue l’impact positif de la migration sur le continent. « Les migrations africaines pourraient stimuler la croissance et transformer positivement la structure de l’économie du continent », prédit même l’institution internationale, qui préconise aux États africains de mettre en place des stratégies qui permettront de tirer parti des migrations africaines et d’atténuer leurs effets négatifs.
« Les migrations sont bénéfiques à la fois aux pays d’origine et aux pays de destination »
Le rapport de la Cnuced codirigé par l’économiste Milasoa Chérel-Robson cherche à déterminer comment les migrants favorisent la transformation structurelle et recense les possibilités pour cette main-d’œuvre excédentaire d’être absorbée par les différents secteurs économiques à l’échelle du continent. Les migrants africains comptent des personnes de tout niveau de qualification, qui quittent leur pays par des voies légales ou par d’autres moyens. Non seulement ils remédient au déficit de compétences dans leurs pays de destination, mais ils contribuent aussi au développement dans leur pays d’origine. D’après le rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, avec 19 millions de migrants se déplaçant au sein du continent et 17 millions l’ayant quitté pour la seule année 2017, les pays africains peuvent tirer des bénéfices économiques de leurs populations migrantes.
« Les pays africains peuvent tirer des bénéfices de la migration en alignant leurs politiques migratoires, commerciales et d’investissements sur leurs objectifs de développement, en exploitant la diaspora à des fins d’investissements productifs et en adoptant des politiques de travail flexibles afin de faciliter la mobilité des migrants », explique le rapport.
Grâce à leur parent migrant, les enfants restés au pays reçoivent souvent une meilleure éducation que leurs camarades. En effet, expliquent les experts de l’ONU, « les liens créés par les migrants entre leur pays d’origine et leur pays de destination ont permis l’apparition de diasporas prospères. Ils ont aussi ouvert de nouvelles perspectives de commerce et d’investissement qui peuvent aider les pays de destination et les pays d’origine à diversifier leur économie et à s’orienter vers des activités productives à plus grande valeur ajoutée. »
Régulariser les travailleurs pour valoriser la contribution des migrants
« La régularisation des travailleurs migrants devrait être une priorité, estime l’organisme onusien. De telles initiatives ont montré que la contribution des migrants aux économies nationales est pleinement reconnue et intégrée au produit intérieur brut. Elle offre également une meilleure protection aux migrants, notamment en facilitant le paiement des contributions et des impôts nationaux. Les campagnes de régularisation peuvent mettre en évidence l’ampleur des opportunités manquées dans les contributions à l’économie réelle. » À ce titre, l’étude cite la deuxième phase de régularisation menée au Maroc entre décembre 2016 et fin 2017. Au total, 26 860 demandes ont été déposées dans 70 provinces et communes.
« Les pays de destination ont tendance à se concentrer sur les migrants hautement qualifiés. Bien qu’il faille reconnaître davantage le rôle des travailleurs peu qualifiés dans la stratégie migratoire et, en conséquence, dans sa trajectoire de développement, les mesures qui ciblent les deux extrémités de l’échelle des compétences dans la stratégie migratoire du Maroc est un exemple de bonne pratique africaine. »
Des migrations intra-africaines méconnues
Contrairement à ce que certains pensent, la plupart des flux migratoires africains sont circonscrits à l’intérieur du continent. Selon le présent rapport, ces migrations intra-africaines sont indispensables au renforcement de l’intégration de la région et du continent. Dans le même temps, les grands schémas des migrations extracontinentales confirment que les migrants concourent à la transformation structurelle des pays d’origine.
L’année dernière, sur les 36 millions d’Africains qui ont quitté leur pays, 19 millions, soit près de 53 %, sont restés sur le continent. Cependant, l’écart est en train de se réduire, l’Afrique étant une destination migratoire pour 5,5 millions de personnes venues de l’extérieur du continent, note la Cnuced, ajoutant qu’« en 2017, les cinq principales destinations des migrations intra-africaines (par pays d’accueil et par ordre décroissant) étaient l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire, l’Ouganda, le Nigeria, l’Éthiopie (tous pays ayant accueilli plus de 1 million de migrants) ».
« La contribution des migrants internationaux au PIB a été ainsi mesurée à 19 % en Côte d’Ivoire (2008), 13 % au Rwanda (2012), 9 % en Afrique du Sud (2011) et 1 % au Ghana (2010). Les envois de fonds vers l’Afrique ont augmenté en moyenne de 38,4 milliards de dollars (2005-2007) à 64,9 milliards de dollars (2014-2016) », indique la Cnuced. Ces apports ont représenté 51 % des flux de capitaux privés vers l’Afrique en 2016, contre 42 % en 2010. « Les mouvements de population hors des frontières offrent souvent aux individus la possibilité d’une vie meilleure, et présentent des avantages sociaux et économiques pour les pays d’origine comme pour les pays de destination, ainsi que pour les générations futures », a déclaré Mukhisa Kituyi, secrétaire général de la Cnuced.
L’analyse du rapport sur le rôle de la migration intracontinentale dans la trajectoire de développement de l’Afrique doit, selon ses auteurs, devenir un document de référence important qui vise à aider la définition d’une position africaine dans le Pacte mondial sur la migration qui sera adopté à Marrakech en décembre 2018.
Par Le Point Afrique
Publié le 12/06/2018 à 15:41 | Le Point Afrique