Bouba Touré a 17 ans en 1967 quand, pour se faire une place au pâle soleil de Paris, il quitte Tafacirga (Gadiaga), son village au bord du fleuve Sénégal, dans la région de Kayes (Mali). Cinquante ans plus tard, Bouba est en colère.
Depuis qu’il est à la retraite, chaque année Bouba quitte sa vie parisienne pendant 5 à 6 mois, pour revenir au village, vivre auprès de ses parents. Il pose son œil de photographe sur son cher Maliba. Il écoute, il entend, il analyse, et son cœur saigne. Je suis très inquiet pour l’avenir de notre Afrique en général, et celui du Mali en particulier. Je suis inquiet pour tous les pays du continent où certaines jeunesses se mobilisent pour des religions étrangères à la culture de nos ancêtres. Quelle tristesse !
Aucun peuple ne peut s’épanouir, aucun pays ne peut se développer grâce à une religion venue d’ailleurs, véhiculée par une langue étrangère ! Je me demande ce qu’il faut faire. Les images qui nous sont parvenues des récents saccages à Tombouctou me font peur ! Africains, réveillons-nous avant qu’il ne soit trop tard. Réveillons-nous ! Nous vivons dans la misère, une misère pire que celle que nous connaissions autrefois. Nous souffrons trop !
Même voyager est une souffrance. Un simple trajet est une souffrance. Nos routes sont dégradées, défoncées, effondrées, quand elles n’ont pas tout simplement été emportées par la pluie. Un voyage dans la sous-région, de chez soi à un pays voisin, est une torture, une honte. Une honte pour nous-mêmes, une honte lorsque nous accueillons nos étrangers, une honte pour toute l’Afrique ! Nos dirigeants aussi devraient avoir honte, mais eux, ils voyagent dans leurs avions présidentiels … Ignorent-ils que les policiers escroquent les voyageurs, sans se cacher, sans vergogne ! De Kayes à Dakar, j’ai compté, les policiers ont arrêté notre bus quinze fois ! Assez ! Même nos mamans de Lomé, Cotonou, Sikasso, ou d’ailleurs, quand elles quittent chez elles pour aller acheter des denrées au Sénégal, en chemin à l’aller comme au retour, les policiers, les douaniers les arnaquent encore et encore. Oui, assez ! Ailleurs, voyager est un plaisir. Mais pour nous Africains, voyager à l’intérieur de notre propre continent est un enfer.
Nous devrions bénéficier de la libre circulation des personnes et des biens, or il n’en est rien en réalité ! On est fatigué ! Que font nos dirigeants ? Ne les avons-nous pas élus pour qu’ils améliorent nos conditions de vie, pour qu’ils nous défendent, nous citoyens ? Que font les dirigeants de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest ? Que fait l’Union africaine ? On est vraiment fatigué ! Africains, ne dispersons pas nos forces ! L’Afrique a besoin de justice. L’Afrique a besoin de la Paix. L’Afrique n’a besoin ni de guerres inter-communautaires, ni de conflits au nom d’une religion ou d’une autre !
L’Afrique ne doit pas se battre pour défendre des causes qui ne lui ressemblent pas et qui ne la rendent vraiment pas plus heureuse. Africains, réveillons-nous ! Nous avons d’autres combats à mener. Nous devons nous battre pour notre jeunesse qui ne veut que travailler ! Nous devons nous battre pour que nos filles et nos fils vivent dignement chez nous. L’Afrique doit se battre pour que sa jeunesse puisse travailler chez elle. L’Afrique doit se battre pour que le désespoir ne pousse plus sa jeunesse à émigrer au péril de sa vie. Africains, réveillons-nous, pour obliger nos dirigeants à se réveiller avant qu’il ne soit trop tard.
Propos recueillis par Françoise WASSERVOGEL