Adama Samassékou : «une transition est un pont qui a besoin d’être solide pour jouer son rôle de passerelle»

Adama Samassekou
Les acquis et insuffisances de l’ère démocratique sont évoqués dans les lignes qui suivent par cet acteur du Mouvement démocratique. L’ancien ministre jette également un regard sur la situation sociopolitique du pays, six mois après les événements du 18 août dernier

L’Essor : Nous sommes dans la mouvance du 30è anniversaire de la révolution de mars 1991.

Quel regard portez-vous sur la démocratie malienne en termes d’acquis et d’insuffisances ?

Adama Samassékou : Je voudrais, avant toute chose, me recueillir devant la mémoire de tous ceux qui ont sacrifié leur vie pour l’avènement de cette démocratie.

Qu’il vous souvienne qu’en mars 1991, c’est au prix du sang que le Mali s’est engagé résolument et avec vigueur sur le chantier d’un nouveau système de gouvernance, quand notre pays entrait de plain-pied dans la IIIè République.

La démocratie était alors un concept qu’il nous fallait adopter et certainement adapter à notre contexte socio-culturel.

Trente ans après, il est vrai que nous avons connu des périodes d’euphorie, avec notamment la belle jonction, à la Bourse du Travail, entre les soldats patriotes, menés par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, qui ont parachevé le processus et les acteurs du Mouvement démocratique, dont les organisations avaient enclenché et mené la révolution populaire et démocratique du 26 mars ;

la Conférence nationale, qui a posé les fondements de la IIIè République à travers l’élaboration du projet de Constitution adopté à la suite du Référendum de février 92 ;

avec la fantastique explosion des associations et la floraison des radios libres et de la presse écrite, jouissant à satiété, jusqu’à l’ivresse, d’une liberté totale, longtemps confisquée et conquise de haute lutte, au prix du sang de centaines de martyrs ;

avec la multiplicité des partis politiques, dont ceux qui sortaient de la clandestinité avec le sentiment légitime du devoir accompli, bien accompli, d’avoir contribué à mettre un terme définitif à 23 années de dictature, jalonnées de périodes de répression féroce et sanglante ;

avec les beaux chapitres des premières élections démocratiques ayant porté au pouvoir une génération de jeunes patriotes, pétris de la vieille tradition panafricaniste des pères de l’Indépendance et qui ont animé des gouvernements emblématiques de la Troisième République, devenant désormais des militants du changement social, après avoir été des militants du changement politique.

Une grande période d’euphorie ayant ouvert un processus de refondation de l’état dans tous ses compartiments, en commençant par l’éducation, la Santé, la Justice, la Décentralisation… ; une belle période d’innovations ayant fait de notre pays une référence : création du Haut conseil des collectivités territoriales ; institution de l’Espace d’interpellation démocratique, véritable exercice de pédagogie démocratique à l’échelle nationale…

Mais nous avons aussi connu des périodes de questionnements et de remise en cause de notre démocratie quand nous faisons face, en l’espace d’une décennie, à deux suspensions de la Constitution malienne par le fait d’une intrusion des armes dans le champ démocratique.

Des questionnements légitimes auxquels il nous fait obligation de trouver les réponses appropriées : n’est-il pas temps de revoir, de manière consensuelle, le concept de « multipartisme intégral », qui a conduit notre pays à abriter plus de 200 «partis politiques», cet émiettement du paysage politique malien devenant hautement préjudiciable à la consolidation de notre démocratie ?

Trente ans après, les concepts et les instruments de la démocratie demeurent étrangers au plus grand nombre : n’est-il pas urgent de faire de nos langues nationales de véritables langues officielles de travail de nos populations, facilitant ainsi leur capacitation, en faisant de véritables acteurs de la démocratie, à même de participer de manière éclairée et responsable aux mécanismes de prise de décision concernant leur destin ?

Les ruptures dans la transmission des valeurs sociétales qui fondent notre « maaya », notre humanitude, tant au niveau familial, qu’au niveau de l’école et de la société en général, ne sont-elles pas à l’origine des graves dérives comportementales qui mettent à mal notre éthique légendaire et qui expliquent en grande partie la situation dramatique de notre pays, largement affecté par un incivisme notoire ?

Cependant, malgré ces questionnements il faut se garder de jeter le bébé avec l’eau du bain. Les grandes assemblées de discussion des sujets d’intérêt national, la liberté d’association, d’expression et celle étendue à la presse, même s’il y a par-ci par-là quelques doutes à cet effet, la possibilité pour le peuple d’exprimer, par le vote, son choix souverain de ses dirigeants, sont entre autres, pour nous, des acquis à préserver.

En trente ans, d’aucuns pourraient penser que nous pouvons parvenir à un modèle de démocratie éprouvé.

Mais, c’est un processus long, dans lequel nous devons tous, à notre échelle, accepter de contribuer et surtout accepter de tenter «des choses» pour que notre démocratie réponde à l’ensemble des aspirations des Maliennes et des Maliens.

Dans cette quête, nul doute que celles et ceux qui ont fait la douloureuse expérience de privation de liberté seront toujours aux premières loges, sachant mieux que quiconque le prix de la liberté, donc de la démocratie.

L’Essor : Quelles devront être les perspectives pour être en phase avec les aspirations d’un peuple dont la quête fondamentale est la refondation du Mali ?

Adama Samassékou : Je ne pense pas que la quête fondamentale soit d’abord la refondation du Mali. Tout peuple souhaite avant tout vivre dans un pays où il s’épanouit conformément aux lois qu’il a, lui-même, librement choisies.

Notre quête première devrait donc être un système de gouvernance et une gouvernance effective qui nous garantissent l’effectivité de nos libertés fondamentales et une juste redistribution des richesses produites.

Je rappelle que les jeunes et les moins jeunes, qui ont bravé les armes en 1991, luttaient d’abord pour les libertés fondamentales.

Les femmes qui ont arpenté les rues de Bamako et d’autres capitales régionales, il y a trente ans, n’aspiraient à rien d’autre que de voir le Mali sur la voie de la vraie démocratie : celle qui œuvre pour le peuple et qui libère les énergies permettant de mieux produire les richesses nécessaires à l’épanouissement des populations.

La Redaction

Source : Lessormali