À l’occasion des commémorations du centenaire de l’armistice, les présidents français et malien ont inauguré le monument aux héros de l’Armée noire de Reims. Symbole de la bravoure des tirailleurs en 14-18, il a connu une histoire tumultueuse.
« Ils sont venus ici verser leur sang sous la neige de vos contrées. » C’est par ces mots que le président malien Ibrahim Boubacar Keïta a inauguré mardi 6 novembre à Reims, le monument aux Héros de l’Armée noire. Invité par son homologue français Emmanuel Macron à l’occasion des commémorations du centenaire de l’Armistice, il a rappelé que « près de 200 000 combattants africains sont venus à la rescousse lors de la Première Guerre mondiale. Ils se sont battus pour la France et pour eux-mêmes aussi. »
« Ne cherchons plus à définir le courage et l’héroïsme. Ils ont un nom et un visage », a également salué avec sa verve habituelle l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou face à cette impressionnante sculpture représentant quatre tirailleurs sénégalais soudés autour d’un officier français portant le drapeau tricolore. “Pour nous, ce monument de Reims est plus qu’un symbole. C’est une lutte. Il aura fallu un siècle pour y parvenir », a ajouté le romancier choisi pour prononcer un discours lors de cette cérémonie.
Une histoire tumultueuse
L’histoire du monument aux Héros de l’Armée noire est des plus tumultueuses. Elle a commencé ici, dans ce coin de Champagne, il y a cent ans, en 1918. Lors de cette dernière année de guerre, les tirailleurs sénégalais s’illustrent au combat en défendant âprement, à plusieurs reprises, la ville de Reims. Après le conflit, l’idée émerge de leur rendre hommage. Une souscription est lancée et deux monuments jumeaux imaginés par l’ancien poilu et sculpteur Paul Moreau-Vauthier sont inaugurés en 1924 à Reims et à Bamako, car la plupart des tirailleurs étaient originaires du Haut-Sénégal et du Niger (le Mali et le Burkina Faso actuels).
Mais quelques années plus tard, l’histoire rattrape ces symboles. En 1940, lorsque les Allemands arrivent à Reims, ils ont une priorité : faire disparaître ce monument. Ils leur rappellent en effet “la honte noire”, cette période pendant laquelle une partie de leur pays a été occupée par des soldats africains après la Première Guerre mondiale. “Les Nazis voulaient effacer de la mémoire les troupes noires”, explique l’historien Cheick Sakho qui a œuvré à la renaissance du monument. Sous les ordres d’Hitler, le chef de la SS Heinrich Himmler fait donc transférer la sculpture vers l’Allemagne. Selon les recherches de Cheick Sakho, l’œuvre est fondue en juin 1941. “Entre la Première Guerre mondiale et la Seconde, elle représente vraiment une traversée du 20 siècle”, souligne-t-il.
Un combat pour le faire revivre
Dans les années qui suivent, des voix s’élèvent pour faire revivre le monument, mais sans succès. “D’une part, c’était cher à reconstruire et d’autre part, il fallait tourner la page”, décrit Cheick Sakho. Pour certains, cette sculpture rappelle également une vision trop coloniale de l’histoire. Finalement, une stèle est apposée en 1958, puis un nouveau monument est érigé en 1963, composé de deux obélisques blancs en pierre de taille, bien loin de l’esprit d’origine.
Ce n’est qu’à la fin des années 2000, sous l’impulsion de l’association pour la mémoire de l’Armée noire, que revient l’idée de reconstruire le monument. Mais encore une fois, le projet traîne en longueur, comme le souligne l’historien : “Cela a été compliqué. Il y a eu deux procédures judiciaires, l’une pour faux et usage de faux et une plainte pour marché truqué d’un artiste qui contestait l’attribution du marché”. Le sculpteur Jean-François Gavoty est finalement choisi. Il réalise en 2013 une copie en bronze de l’œuvre originale, tout en imaginant un nouveau socle ouvert pour symboliser le temps qui court. Il faudra encore patienter cinq lonques années avant qu’il ne soit enfin inauguré.
“Ils méritent notre reconnaissance”
Dans le public, certains descendants de tirailleurs ont assisté avec émotion à cette renaissance. “Je suis fière. Je peux rendre hommage à mon arrière-grand-père”, s’enthousiasme Leonor Weyerstahl, une étudiante de Sciences Po Reims d’origine malienne, invitée à la cérémonie. “Il était revenu muet de la Première Guerre mondiale. Cela a été un traumatisme violent pour ma famille. Nous ne l’avons pas oublié.”
À ses côtés, Laurdi Sala, une camarade congolaise, parle d’un “apaisement” : “Ils ont été nombreux à venir se battre en France pour une guerre qui n’était pas la leur. Avec ce monument, on peut montrer que les européens n’ont pas été les seuls impliqués dans ce conflit et qu’ils méritent notre reconnaissance.”
Au-delà de l’histoire, alors qu’Emmanuel Macron ne s’est pas exprimé au cours de cette inauguration, Ibrahim Boubacar Keïta a aussi tenu à rappeler que le Mali « est ici pour son passé et pour son présent ». Depuis 2013, l’armée française est en effet engagée dans ce pays d’Afrique pour lutter contre le terrorisme. Il a rappelé que plusieurs soldats de l’opération française Serval, devenue Barkhane, y ont perdu la vie. Cent ans après la fin de la Grande Guerre, le président malien a conclu en faisant le parallèle entre les frères d’armes d’hier et d’aujourd’hui : « Entre les hommes, ce qu’il y a de durable, C’est la fraternité. C’est ça l’esprit de Reims. »
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