Pour la deuxième semaine consécutive, la diaspora algérienne de France s’est mobilisée dans plusieurs grandes villes pour s’élever contre un potentiel cinquième mandat présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika à l’élection présidentielle. A 82 ans, le chef de l’Etat algérien occupe le pouvoir depuis 1999 et souffre des séquelles d’un accident vasculaire cérébral (AVC) depuis 2013. Il est devenu ce « président fantôme » que beaucoup ressentent comme une humiliation. Et pourtant, alors que le soir tombait sur Alger, il a une nouvelle fois déposé son dossier de candidature au scrutin du 18 avril.
« On veut un nouveau président »
Quelques heures avant, des hommes et des femmes ont pourtant hurlé à pleine gorge « Bouteflika dégage, dégage » « Pouvoir assassin », « Ça suffit, on veut un nouveau président », « Voleurs ! Vous avez pillé le pays ! ». Ils ont crié très fort ces mots qu’ils n’avaient jamais osé dire publiquement.
En France, principale terre d’accueil des Algériens, la diaspora a d’abord investi les réseaux sociaux, avant de descendre dans les rues, fatiguée de ce système qui les pousse sans arrêt à l’exil. « Nous sommes ici pour exprimer notre solidarité envers les manifestants en Algérie à travers cette mobilisation inédite, extraordinaire que nous n’avons pas vu depuis l’indépendance, explique Zoheir Rouis, secrétaire national de Jil Jadid, une des organisations à l’origine de la manifestation parisienne. Les rassemblements à l’étranger, en France aussi aux Etats-Unis, au Canada, en Suisse et en Allemagne, permettent de médiatiser le combat des Algériens et de donner un écho international alors que le régime algérien a fermé tous les canaux d’expression libre au pays », ajoutait-il. Pour beaucoup des protestataires, venus dire « non à la gérontocratie », la mobilisation était avant tout un devoir de soutien.
A Paris comme à Marseille, les jeunes étaient en première ligne, parce qu’« en Algérie, l’avenir c’est l’expatriation. Soit à travers les diplômes, soit en étant un harraga (celui qui prend la mer pour partir), déplorait Inès, 27 ans venue étudier les mathématiques en France. Il a fallu que je travaille à fond, que chaque année je réclame une carte de séjour, que je demande la nationalité. J’ai construit ma vie en fonction de ça. Mais nous sommes apatrides ici. Le système nous a volé notre jeunesse. »
Djamal aussi regrette que les plus qualifiés ne trouvent pas de travail en Algérie, où le chômage des jeunes est endémique… Un sujet omniprésent à Paris comme à Marseille. Hamid, 27 ans, inscrit en licence pro techniques audiovisuelles à Toulon brandissait une feuille de papier sur laquelle il avait soigneusement écrit :« Bouteflika, une fois là-haut, évitez les harragas ». Si lui a obtenu son visa d’étudiant pour traverser la mer, le sort des harragas – son cousin en est un – le préoccupe : « Ils laissent leur famille derrière eux car ce pouvoir n’a répandu que le désespoir ». D’ailleurs, lui, rêve de rentrer rapidement en Algérie, ce pays qu’il « aime trop ».
Inquiétude sur l’avenir
Et demain ? Beaucoup de manifestants évoquent leur inquiétude sur l’avenir de cette révolte pacifique. A l’image d’Iptaa Handbourg, 30 ans, suisso-algérienne, médecin urgentiste à Marseille. « N’oublions pas que c’est un pays militaire. Pour l’heure, on laisse faire, le gouvernement prétend entendre le peuple, mais la menace d’un coup d’Etat est réelle ». Rania, 29 ans, est chirurgien-dentiste, véritable franco-algérienne qui a revêtu hier un gilet jaune et endosse aujourd’hui un drapeau algérien. Elle aussi exprime une colère froide : « Il en y a marre de ce pouvoir corrompu qui veut continuer à manger alors que les jeunes sont ingénieurs mais ne trouvent pas de travail parce qu’il n’y a que le piston qui fonctionne. Depuis 1962, ils volent le pays et il faut qu’ils arrêtent de voler ». Hocine, un carrossier de 52 ans ne dit pas autre chose : « On présente l’Algérie comme une démocratie mais c’est une dictature, une royauté où celui qui a l’armée a le pouvoir ». Et c’est aussi face au risque d’une reprise en main par le pouvoir que ces émigrés de là-bas, immigrés ici, se sentent investis du devoir de parler car, dit un responsable du parti Jil Jadid, « si on se tait en Europe, ils auront là-bas la possibilité d’user de la répression ».
En fin de manifestation, les organisateurs prévoyaient déjà d’autres actions pacifiques. « Si Abdelaziz Bouteflika finalise sa candidature, cela signifie que le pouvoir a choisi la voie de l’affrontement et de la déstabilisation du pays et donc de toute la région mais aussi la France puisque beaucoup d’Algériens voudront venir ici », rappelait Zouheir Rouis à Paris, quelques heures à peine avant que ce choix ne soit effectif. Tout au long de l’après-midi, une phrase revenait souvent dans les chants des manifestants : « Ce n’est que le commencement ».
Par Luc Leroux et Ghalia Kadiri Publié le 03 mars 2019