Cette tradition – connue de tous mais dont personne ne parle au royaume de la prostitution – implique des filles jeunes, voire mineures.
Fait exceptionnel, ces dernières semaines, elle a fait les gros titres de la presse thaïlandaise.
Tout a commencé après les révélations d’une mère d’une des filles forcées de participer à ces soirées qui se déroulaient dans la région de Mae Hong Son, province pauvre du nord-ouest de la Thaïlande, à la frontière avec la Birmanie.
Cette dernière a révélé aux médias le chantage auquel se livraient des policiers auprès de sa fille et d’autres adolescentes: si elles acceptaient d’être des « desserts », ils passeraient sous silence les preuves de leur consommation de drogue.
Forcée d’ouvrir une enquête après ces révélations, la police nationale a récemment arrêté un sergent de police local accusé d’être à la tête d’un réseau de filles mineures. Huit autres officiers de police ont été inculpés pour avoir couché avec des mineures.
« Cette tradition est répandue depuis bien longtemps », explique à l’AFP Boonyarit Nipavanit, un fonctionnaire de la région, qui rajoute que les filles sont qualifiées de « dessert ».
Alors que la Thaïlande est connue dans le monde entier pour son tourisme sexuel, l’essentiel de son industrie du sexe, moins connue et moins visible, est en fait tournée vers les Thaïlandais eux-mêmes.
« Lorsque des groupes de hauts fonctionnaires viennent pour des séminaires ou des voyages d’affaire, la coutume de les accueillir avec de la nourriture, puis de +déballer des tapis+, ce qui signifie leur fournir des filles », détaille-t-il.
« Parfois, nous recevions des informations sur le type de filles qu’ils aimaient… parfois, les fonctionnaires devaient préparer cinq à dix femmes pour chacun pour qu’ils puissent choisir », ajoute-t-il.
Ce dernier dit se sentir aujourd’hui libre de tout raconter puisqu’une enquête a été ouverte.
Cinq fonctionnaires de la province centrale de Nonthaburi sont également accusés d’avoir payé des adolescentes avec des fonds publics lors d’une visite officielle à Mae Hong Son.
Corrompre les chefs
« Depuis que cette histoire a éclaté, de nombreux responsables se sentent soulagés de ne plus avoir à faire ça », raconte Boonyarit.
Mais cette pratique est loin d’être cantonnée à Mae Hong Son.
Elle serait même très répandue dans un pays très hiérarchique, où les chefs s’attendent à être choyés par leurs subordonnés, qui espèrent ainsi faire progresser leur carrière.
« Nous n’avons pas de système de mérite dans la bureaucratie, nous devons corrompre nos chefs », estime Lakkana Punwichai, éditorialiste thaïlandaise spécialiste des problèmes sociaux.
Et puis il y a cette « culture qui ne considère pas les filles comme des êtres humains mais comme des biens. C’est un cadeau. Comme de la nourriture ou des vêtements magnifiques – toute chose a un prix », ajoute-t-elle.
Et le poids de la hiérarchie empêche la détection. A Mae Hong Son, la police locale a d’abord essayé d’enterrer l’affaire.
« Certains responsables de la police locale lui ont proposé de trouver un compromis », explique l’avocat des deux femmes, qui sont aujourd’hui cachées et protégées par l’Etat thaïlandais.
De nombreuses victimes des trafics ont trop peur pour les dénoncer, surtout quand de hautes personnalités sont impliquées, estime Ronnasit Proeksayajiva de l’ONG Nvader, spécialisée dans les affaires d’exploitation sexuelle.
Dans les zones rurales comme Mae Hong Son, tout le monde se connaît et les jeunes filles impliquées sont souvent proches de ceux qui les attirent dans ces trafics.
« Parfois, c’est leur cousin, parfois c’est leur voisin. Si cette personne n’est pas arrêtée, les victimes auront toujours trop peur pour témoigner », explique Ronnasit Proeksayajiva.
En 2016, le gouvernement a sauvé et pris en charge 244 victimes de trafic sexuel quasiment tous mineurs.
Mais les experts disent que ces sauvetages ne sont que le sommet de l’iceberg et que ce sont souvent seulement les proxénètes de bas niveau qui sont punis.
(©AFP / 25 juin 2017 10h52)