En descendant dans la rue entre janvier et mars 1991, les Maliens nourrissaient l’illusion d’une vraie démocratie, d’une autre gouvernance plus saine et plus efficace. Ils étaient loin de deviner le vrai dessein de ceux qui tiraient les ficelles dans l’ombre. C’est pourquoi le réveil est douloureux car on se retrouve avec la «démoncratie» au lieu de la démocratie.
La démocratie n’est pas une panacée ! C’est un perpétuel combat pour maintenir le cap par un rigoureux contrôle sur les trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire ! Au Mali, nous avons failli à cela. C’est pourquoi notre démocratie a engendré le chaos qui a disloqué la nation et menace la République dans ses fondements. Nous avons une démocratie théorique.
Tout est angélique dans les textes. Mais la pratique est nauséabonde car donnant lieu à toutes les déviations et à tous les dérives au seul profit dune élite relayée aux niveaux régional et local par des éléments du clan des cols blancs. Depuis le 26 mars 1991, le Mali est gouverné comme une organisation mafieuse dans la plus grande opacité.
D’où l’émergence progressive d’une gouvernance qui ne peut engendrer que le chaos comme celui que nous vivons actuellement au centre avec son lot de drames et de tragédies comme l’odieux massacre du 23 mars 2019 dans le village de Ogossagou-peul, dans le cercle de Bankass (région de Mopti) dont le bilan officiel est à 174 morts.
Certains parleront d’épuration ethnique, d’autres de génocide peul comme dans certaines régions du Nigeria. Mais, en dehors des traditionnels conflits entre éleveurs et agriculteurs (qui dégénèrent rarement à des affrontements communautaires), il n’y a pas d’opposition peuls-dogons au centre du Mali.
Ce qui se passe actuellement au Mali (invasion terroriste, faux conflits communautaires avec son lot de détresse et de désolation…), était inimaginable dans notre pays avant mars 1991. Les tragédies comme celle du 23 mars 2019 ne sont que la manifestation des intérêts politiques contrariés. Elles sont orchestrées depuis la capitale par des politiciens et certains officiers qui ont fait fortune grâce à la démocratie.
Ce sont eux qui ont créé ces milices aujourd’hui mieux équipées que l’armée régulière. Et ils ne s’en cachent même pas. Alors pourquoi le pouvoir n’agit pas ? Parce que quand on n’a pas la solution aux vraies préoccupations nationales, il faut attirer les regards vers d’autres fronts.
Les fauves libérés de leur cage politique
«La démocratie a engendré plus de martyrs, plus d’injustice sociale avec l’éducation à terre, l’insécurité, le chômage… Alors, est-ce-que nous donnons raison à ceux qui ont pensé et dit que la démocratie était un luxe pour l’Afrique ? Une remise en cause, de façon profonde s’impose à chacun de nous», déplore Adama, D. Traoré, un ingénieur engagé du pays.
Les fauves libérés par la démocratie ont même réussi à dépouiller la presse de son influence de 4e pouvoir en investissant largement dans le secteur des médias. Et cela à travers une floraison qui a plus discréditée les médias, au lieu de réellement enrichir le paysage médiatique, en ouvrant largement la porte de l’exercice à tout le monde au mépris de l’éthique et de la déontologie. Et du coup, la presse privée au Mali est aujourd’hui une véritable jungle où seuls les mercenaires et les chasseurs de primes survivent.
Les politiciens ont eu le même effet pervers destructeur sur la société civile et le cercle des leaders religieux musulmans. Seule l’Eglise (catholique et protestante) a réussi à rester à l’abri du pouvoir corrosif de cet exercice mafieux de la politique dans notre pays depuis l’avènement de la démocratie. Avec la mauvaise gouvernance et l’absence de contre-pouvoir en face, le Mali ne pouvait que sombrer vers le chaos que nous vivons maintenant depuis près d’une décennie.
Et si les Maliens ne se réveillent pas pour comprendre qu’ils ne sont que des marionnettes pour l’opposition et la majorité qui ne se battent que pour avoir le contrôle du jouet, il est à craindre que le pire soit encore devant nous. C’est comme si le vent de la démocratie avait libéré toutes les forces du mal dans notre pays.
En tout cas, depuis son avènement, ce sont les hyènes, les sauriens et les vautours qui ont pris d’assaut l’arène politique. Ils s’entre-dévorent pour alimenter leurs panses, pardon pour garnir leurs comptes en banques, au lieu de faire face aux vraies préoccupations des Maliens.
Ce n’est pas d’une révision constitutionnelle dont le Mali a besoin. Il nous faut juste sortir de ce faux schéma démocratique qui n’est qu’illusion en termes de bonne gouvernance pour une réelle prise en charge des aspirations des Maliens. Le problème n’est pas institutionnel car nous avons les meilleures institutions dont on peut rêver pour l’ancrage de la démocratie.
Le problème se situe au niveau de leur animation. Elles n’ont jamais été dirigées par des hommes qui ont su les animer à hauteur de souhait. Ce qui fait de la séparation des pouvoirs un leurre. Depuis l’avènement de la démocratie, quelle est cette institution qui a su réellement afficher une indépendance totale vis-à-vis de Koulouba ? C’est cette chaîne de dépendance qu’il faut briser au lieu de chercher à nous surcharger d’autres institutions budgétivores comme le Sénat.
Que faire aujourd’hui ? Il faut une vraie reprise du pays en main. Pas cette alternance de fait qui amène cette élite bourgeoise, cleptomane et mégalomane de se succéder au sommet de l’Etat. Il faut fermer cette parenthèse douloureuse qui tire le pays en arrière ou le pousse vers un précipice inimaginable.
Cette nouvelle gouvernance souhaitée n’est pas forcément une question de générations (les jeunes ont beaucoup déçus car pressés de perpétuer les mêmes maux que leurs pères ou aînés afin de s’enrichir vite au lieu de contribuer à l’émergence de leur pays). C’est une question de compétence.
Des médias crédibles, une société civile responsable… pour une vraie démocratie
Nous avons besoin d’une gestion politique à la Rwandaise, avec sans doute un peu plus de souplesse dans les libertés publiques. Mais, le pays a inéluctablement besoin de moratoire pour mettre tout le monde au pas pour le bonheur de tous.
Pour ce faire, il faut des médias crédibles et aussi des leaders au-dessus de tout soupçon de connivence à la tête de société civile pour la renforcer. Elle doit être, à cet effet, outillée et encouragée à l’action citoyenne pour moraliser la vie politique du pays. C’est une condition sine qua non pour doter notre pays d’une masse critique indispensable au changement nécessaire et souhaité.
Une masse qui aura besoin d’un vrai leader car, comme le répétait Napoléon Bonaparte, «la foule cherche toujours un meneur. Pas par égard pour lui mais pour l’influence qu’il exerce. Le meneur les accueille à bras ouverts par vanité ou besoin». Cela est d’autant vrai que, est convaincu Bernard Malamud, «sans héros, nous sommes tous des gens ordinaires qui ignorent jusqu’où ils peuvent aller».
Des leaders, le pays en a plus que besoin pour vite se relever. Mais, de vrais ! Pas des pseudos révolutionnaires qui surfent sur la misère et le désespoir de la majorité pour la monnayer contre des dividendes financiers ou politiques !
Hamady Tamba